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nos pères, qu’agir est d’un seul et que le conseil est de plusieurs.

Remarquez que les droits de la nation ne sont pas ici en question. Nul ne saurait songer à contester que le vote de l’impôt n’appartienne exclusivement aux représentans du pays, et que ceux-ci aient le droit de contrôler l’emploi des fonds ainsi mis à la disposition du gouvernement et dont il doit compte. De l’exercice de ce contrôle résulte naturellement et légitimement une influence prépondérante sur la conduite des affaires et la politique du gouvernement : la volonté du pays doit être respectée et obéie. Mais si le contrôle est exercé de façon à aboutir à l’assujettissement complet du gouvernement ; si celui-ci, dont la mission est de prévoir, de préparer l’avenir et d’agir, est dépouillé de toute initiative et de toute liberté d’action ; s’il est réduit à l’état d’instrument passif des mobiles volontés d’une assemblée versatile, généralement ignorante et toujours irresponsable, vous n’avez plus que la perversion du régime représentatif ; vous avez ce qu’on appelle le régime parlementaire, c’est-à-dire le régime déguisé et à peine atténué de la Convention. Il n’y a point ici de principe engagé : les droits de la nation sont inaliénables et imprescriptibles : il s’agit seulement de savoir de quelle façon ces droits peuvent et doivent s’exercer. Il s’agit de déterminer quel est le rôle du gouvernement et dans quelles limites le chef du pouvoir exécutif et ses ministres peuvent se mouvoir.

Il y a des gens qui se croient fort libéraux et qui se considèrent comme les véritables défenseurs des droits du pays, parce qu’ils exagèrent les pouvoirs des assemblées et qu’ils refusent de donner un chef effectif au gouvernement. Ils ne s’aperçoivent point, mais l’expérience a montré qu’en réalité ils dépouillent la nation de tous ses droits au profit d’une collectivité irresponsable, parce que son action est toujours anonyme. Ceux qui ne vont point jusqu’à supprimer le pouvoir exécutif, et se bornent à lui refuser toute prérogative sérieuse, ne méconnaissent point qu’ils le mettent absolument à la merci des assemblées ; mais ils croient parer suffisamment à cet inconvénient en accordant au chef du pouvoir exécutif l’irresponsabilité comme compensation de son impuissance et de son inaction volontaire. Cette irresponsabilité que rien ne protège et ne garantit n’est qu’une vaine fiction. Une responsabilité morale s’impose à quiconque a la réalité ou les apparences du pouvoir ; et l’histoire de notre temps fait assez voir avec quelle facilité cette responsabilité devient effective, en dépit de toutes les constitutions.

Cette question des droits respectifs et des rapports du pouvoir exécutif et des chambres est une vieille querelle. Elle a été débattue