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« comme une quantité négligeable, » et en assumant sur lui de désavouer M. Bourée et de repousser un traité qu’on a été trop heureux de reprendre plus tard, nous a mis sur les bras une guerre meurtrière et onéreuse. À l’intérieur, les inconvéniens n’ont pas été moindres. Quelle œuvre exigeait plus de maturité, plus d’esprit de suite et plus de discrétion que la réorganisation de notre armée et la reconstitution de notre matériel de guerre ? La chambre a voulu tout savoir et tout conduire : on a crié sur les toits ce qu’on avait le plus grand intérêt à taire. Qui pourrait calculer les millions dépensés en pure perte par suite des remaniemens et des changemens de systèmes, conséquences inévitables des changemens de personnes, provoqués par les compétitions des groupes parlementaires ? Toutes les administrations publiques ont été successivement désorganisées sous la pression des exigences parlementaires, tantôt pour éliminer des fonctionnaires qui avaient encouru le déplaisir d’un député, tantôt pour faire place à quelqu’un de ses parens ou de ses protégés. Il semble même que ces empiètemens du pouvoir législatif sur le domaine de l’administration soient un vice inhérent à la domination des assemblées, car un homme d’état éminent, un des fondateurs de la liberté italienne, Marco Minghetti, n’a cessé de le signaler aux législateurs de son pays comme un grave danger. Dans une réunion tenue à Naples le 8 octobre 1880, il s’était élevé avec force contre l’abus des influences parlementaires, stigmatisant en termes très vifs l’immixtion des députés dans les affaires administratives et leur intervention dans la nomination des fonctionnaires. La chambre des députés prit fort mal cette critique ; on accusa l’ancien ministre de manquer de respect envers les pouvoirs publics, et quelques esprits s’échauffèrent jusqu’à parler d’un vote de censure. Cet incident conduisit M. Minghetti à écrire son dernier ouvrage, son livre sur l’ingérence parlementaire dans les administrations civiles, et il a pu voir avant de mourir le triomphe de ses idées sur cette matière, car le gouvernement italien, soutenu par l’opinion publique, a fait voter des lois qui, en déterminant la situation des fonctionnaires et les conditions de leur nomination et de leur avancement, ont opposé une barrière au mal signalé par l’éminent écrivain.

Si ce mal avait pu prendre en Italie, sous un régime constitutionnel fonctionnant régulièrement, assez d’extension pour alarmer des hommes d’état patriotes, à quel point n’est-il pas arrivé en France, où aucun obstacle n’arrête la prépotence parlementaire ? Toutes les barrières tombent, tous les règlemens fléchissent devant les exigences des députés : malheur au ministre qui aurait la pensée de résister ! Un des derniers ministres des finances essayait, un