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vait remettre à son collègue des finances, le jour même où s’ouvrait la discussion générale du budget, un petit carré de papier contenant quelques chiffres. Par ce carré de papier, M. Léon Say apprit que l’évaluation des dépenses à faire pour les travaux publics était passée du chiffre primitif de 5 milliards 1/2 au chiffre de 7 milliards, pour monter définitivement à 8 milliards. Quant au ministre de la guerre, armé de l’irrésistible argument des besoins de la défense nationale et assuré de la bienveillance constante de la commission du budget, il fait manœuvrer les millions du budget ordinaire au budget extraordinaire, et réciproquement, de sorte qu’il n’y a jamais moyen de savoir exactement où il en est des crédits qui lui ont été ouverts. On peut donc répéter, après M. Léon Say, que « le ministre des finances ne sait pas ce que dépensent ses collègues et n’a aucune action sur leurs dépenses. »

Dira-t-on qu’en l’absence de ce contrôle général sur la situation financière du pays, qui, ailleurs, est une des prérogatives et un des devoirs du pouvoir exécutif, l’examen minutieux du budget, l’épluchage des propositions ministérielles par la chambre ou par ses délégués, est au moins le moyen d’introduire l’économie dans les dépenses publiques ? l’expérience des dix dernières années a donné un complet démenti à cette opinion. Si la commission se borne à rogner de-ci, de-là, sur quelques crédits, le total de ces réductions représente une somme insignifiante, par rapport à un budget de plus de 3 milliards. Dans le budget de 1888, on propose de retirer 1, 000 francs à l’école française de Rome, 11, 000 francs à l’Imprimerie nationale, etc. Est-ce ainsi qu’on trouvera les 100 millions nécessaires pour équilibrer le budget ? Si la commission procède par retranchemens considérables, et elle n’en peut guère opérer de tels que sur les budgets de la guerre et des travaux publics, il est plus que probable que les crédits supprimés ressusciteront sous la forme de crédits extraordinaires : l’économie qu’on aura cru réaliser n’aura été qu’apparente. Nous avons établi récemment[1], par un examen détaillé de notre organisation administrative, qu’il était malaisé de touchera aucun de nos grands services publics sans s’exposer à le paralyser et à le désorganiser. Ici encore, le rétablissement, après coup, des sommes supprimées, a presque toujours été la conséquence de ces économies momentanées ; la commission en fait l’aveu dans le rapport de cette année. La chambre elle-même semble se prêter à cette manœuvre enfantine, car elle n’a cessé d’accroître la nomenclature des services pour lesquels des crédits extraordinaires peuvent être ouverts

  1. Voyez la Revue du 15 août 1887.