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et dans le roman elle ne lit plus guère que l’aventure de Psyché, C’est par cet ouvrage, composé sur ses vieux jours, qu’Apulée a pris de bonne heure et a toujours conservé une place importante dans les lettres latines. Déjà, presque du vivant de l’auteur, le rude Septime Sévère, candidat à l’empire, pouvait railler son compétiteur, l’Africain Albinus, « de perdre son temps à je ne sais quels contes de bonnes femmes et de vieillir au milieu des Milésiennes carthaginoises de son compatriote Apulée. » Albinus n’avait point si mauvais goût ; et, bien des siècles après, les contes milésiens du Carthaginois faisaient encore le régal de La Fontaine et de Courier. Peu d’auteurs anciens sont d’un accès aussi facile aux modernes : par sa fantaisie, son entrain et ses drôleries, par le pittoresque de son style, le réalisme de ses descriptions, le tour moqueur de son esprit et la liberté de ses peintures, Apulée est fait pour séduire les lecteurs les plus profanes de notre temps. On ne peut le placer parmi les écrivains du premier rang. Mais on entre volontiers dans une littérature comme dans un salon : tout en saluant les grands personnages, les classiques incontestés, on cherche de l’œil les gais compagnons : Apulée est du nombre.

Pourtant le joli roman des Métamorphoses n’est qu’un accident heureux dans la vie et dans l’œuvre d’Apulée. On aurait fort surpris ses contemporains et ses compatriotes en paraissant ne voir en lui qu’un joyeux conteur. Il a été, avant tout, le grand orateur, le savant encyclopédiste, le philosophe à la mode et l’idole de Carthage, la plus éclatante personnification de l’Afrique romaine. De ses bruyantes leçons, de ses tournées oratoires et de ses marches triomphales à travers les cités de l’Atlas, des applaudissemens enthousiastes dont les Carthaginois le saluaient au théâtre, il ne parvint aux siècles suivans qu’un écho affaibli. Mais par ses œuvres de philosophie, de grammaire et d’histoire naturelle, comme par ses fantaisies littéraires, Apulée fixa bien longtemps l’attention de ses compatriotes. Il resta leur auteur préféré jusqu’au jour où, sous les coups répétés des Vandales, des Byzantins et des Arabes, on vit sombrer sans retour la civilisation romaine de l’Afrique. Apulée est le premier en date des grands auteurs de son pays. Pendant des siècles, il a été considéré dans toutes les régions de l’Atlas comme le vrai classique de l’Afrique romaine. Il a joui de son vivant d’une immense popularité ; après sa mort, il a exercé encore une action décisive sur presque tous ses compatriotes, même sur les apôtres et les évêques chrétiens. Il faut tenir grand compte de ses œuvres, si l’on veut bien comprendre la littérature de cette contrée.

En même temps, par un capricieux retour de fortune, il s’est formé peu à peu dans l’Afrique romaine, autour du nom d’Apulée,