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ce n’était qu’une halte, et qu’il lui faudrait un jour se remettre en marche vers la vérité. Les succès d’école qu’il obtenait ne l’empêchaient pas d’être inquiet, mécontent, et d’éprouver au fond de l’âme une sorte de regret vague de l’idéal un moment entrevu ; il est probable que, de cet abri provisoire où il s’était arrêté, il regardait devant lui, et, comme les ombres de Virgile, « tendait la main avec amour vers la rive opposée. »


II.

À vingt ans, Augustin cessa d’être élève pour devenir professeur. Il enseigna d’abord la grammaire dans sa petite ville, à Thagaste. Mais bientôt, comme il avait la conscience de son talent, il chercha un plus grand théâtre, et voulut s’établir à Carthage. L’excellent Romanianus, quoiqu’il fût fort triste de le voir partir, paya le voyage et fournit aux premiers frais de l’installation. À Carthage, Augustin ouvrit une école de rhétorique ; quelques-uns de ses élèves de Thagaste l’avaient suivi ; ils en attirèrent d’autres, et le jeune maître ne tarda pas à se faire une grande réputation. Carthage était toujours la ville dont Apulée disait, deux siècles auparavant : (i Il n’y a ici que des lettrés. Les enfans apprennent tous l’éloquence, les jeunes gens la pratiquent, les vieillards l’enseignent. » On y avait un goût très vif pour tous ces agrémens et ces artifices dans lesquels se complaisait la rhétorique. Un bon discours improvisé sur un sujet scabreux, choisi par quelqu’un de l’assistance, y paraissait un spectacle presque aussi amusant que les courses de char et les combats de gladiateurs. Apulée s’était fait un si grand renom d’éloquence par ces tours de force que la ville émerveillée lui avait élevé une statue. Il est probable qu’Augustin donna des conférences de ce genre et qu’il s’y fit applaudir comme son prédécesseur. Nous savons même qu’il prit part à un concours de poésie et qu’il fut couronné par le proconsul. Mais ces succès ne parvinrent pas à le fixer à Carthage ; il s’y déplut, au bout de quelque temps, et voulut en sortir. Est-ce seulement, comme il le dit, parce que les écoliers avaient des habitudes trop turbulentes, ou voulait-il aller chercher ailleurs des triomphes plus retentissans ? Toujours est-il qu’un beau jour, à l’insu de tout le monde, et même de sa mère, qui l’avait accompagné jusqu’au port, sans se douter de rien, et qu’il éloigna sous un prétexte au dernier moment, il s’embarqua sur un navire qui partait pour Rome.

À Rome, il ne semble pas avoir obtenu autant de succès qu’à Carthage. Les maîtres y étaient plus nombreux, plus célèbres, et, dans une aussi grande ville, les réputations ne pouvaient pas se