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il a bégayé le latin d’une façon ridicule. En revanche, c’est lui qui commande dans la maison de son beau-père : il préside aux festins et aux débauches; il ne se plaît qu’avec les gens de bas étage. Il ne manque pas un combat de gladiateurs ; il connaît par leurs noms les lutteurs; il juge des coups et des blessures; il s’exerce lui-même dans ce beau métier. Voilà ce qu’est devenu le faible jeune homme entre les mains de coquins intéressés. Son oncle Emilianus dirige cette noble éducation et guette l’héritage. Celui-là a des façons d’épileptique. C’était naguère un pauvre homme qui, en trois jours, en compagnie d’un petit âne, labourait son misérable champ près de Zarath. Tout à coup il s’est enrichi, on ne sait comment, par la mort précipitée de plusieurs parens : il a recueilli si à propos leur fortune, il remplit si bien ses fonctions de pourvoyeur de l’enfer, que dans la ville on l’a surnommé Charon. Maintenant il pose pour l’esprit fort ; il prétend n’avoir jamais mis le pied dans un temple ; et, comme les gens d’OEa ont lu l’Enéide, on jette aussi à la tête de l’impie le nom de Mézence. Un coquin, un imbécile et un sacrilège : voilà les dignes personnages qui ont osé intenter à un honnête homme, à un philosophe, cet absurde procès de magie.

Aussi que d’erreurs et de mensonges ils ont entassés dans leur acte d’accusation ! Pourquoi donc Apulée aurait-il cherché à gagner par des moyens criminels l’affection de Pudentilla? Ce n’est point par intérêt : il a, au contraire, refusé les donations que sa femme voulait signer à son profit ; c’est lui qui a décidé la mère irritée à tester malgré tout en faveur du fils ingrat. Faut-il tant de mystères pour expliquer l’amour de Pudentilla? Il suffit de connaître un peu la vie pour comprendre la conduite de cette femme. Une veuve doit avoir bien des mérites pour qu’on lui pardonne son passé; « elle ne peut se façonner à votre gré; sa nouvelle demeure lui est aussi suspecte qu’elle doit l’être elle-même à cause de son premier mariage. Si c’est la mort qui l’a rendue veuve, il semble que ce soit une femme de fâcheux présage, dont l’union porte malheur et dont il ne faut pas rechercher la main. Si c’est le divorce, elle ne peut échapper au dilemme qui la proclame ou insupportable, puisqu’elle a été abandonnée de son premier mari, ou trop exigeante, puisqu’elle l’a abandonné. Ces considérations et d’autres expliquent pourquoi les veuves offrent des dots si considérables à qui veut bien les épouser. C’est ce qu’avec un autre prétendu aurait fait Pudentilla; mais elle a trouvé pour mari un philosophe, qui ne s’inquiétait pas de la dot. » Ainsi, non-seulement Apulée n’a pas fait sa cour par des incantations magiques, mais encore il n’avait aucun intérêt, aucun motif d’y recourir.