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La magie n’a donc rien à voir dans le mariage d’Apulée. Quant aux griefs secondaires, que les accusateurs ont ramassés aux quatre coins de la ville, on doit les considérer comme des rêveries de la populace ou des mensonges éhontés. Le philosophe achète et dissèque des poissons, cela est vrai ; mais ne sait-on pas qu’il s’occupe depuis longtemps de recherches scientifiques sur les poissons? Il contrôle les assertions d’Aristote et de Théophraste, il a le premier fait passer du grec au latin une foule de termes techniques; il a composé des ouvrages que connaissent bien les amateurs d’histoire naturelle, et il en cite des fragmens en plein tribunal. Il possède des miroirs, mais il n’a guère le temps de s’y regarder; ces instrumens lui servent à vérifier les lois de l’optique. Le prétendu talisman qu’on voit dans la bibliothèque est simplement une relique sacrée : l’orateur fait profession d’une grande piété ; naguère, dans un discours sur Esculape, que bien des lettrés savent par cœur, il a énuméré tous les mystères de l’Orient auxquels il est initié; ce qu’il conserve avec tant de soin et dont on fait si grand bruit, c’est le symbole d’une secte religieuse; Apulée ne peut trahir en public un secret confessionnel; mais, s’il se trouve dans l’assemblée un confrère, qu’il fasse le signe de reconnaissance, et l’orateur s’engage à lui montrer l’objet sacré. Quant au fameux squelette, dont la foule par le avec terreur, c’est une charmante œuvre d’art; Apulée va la mettre sous les yeux des juges; c’est une figurine en bois exécutée par Saturninus, un artiste d’OEa, taillée dans un petit meuble en ébène que Capitolina, une grande dame de la ville, a gracieusement offert au philosophe : il n’est pas difficile de reconnaître dans ce petit chef-d’œuvre une statuette de Mercure. L’histoire de ce squelette fait autant d’honneur au bon sens des accusateurs que les poissons, les miroirs et le talisman.

Pour ce qui est des prétendus sacrifices nocturnes, Apulée prend ses ennemis en flagrant délit de mensonge. Ce Junius Crassus, dont on invoque le témoignage, c’est un hideux pique-assiette, un glouton désespéré. Il faisait bombance dans Alexandrie à l’époque où les démons du philosophe auraient hanté sa maison. C’est du milieu de ses ragoûts qu’il argumentait en haruspice sur des plumes d’oiseaux apportées de chez lui. Plus malin qu’Ulysse, il a aperçu de loin la fumée de son logis ; plus fin que les chiens et les vautours, il a flairé de l’Egypte un goût de brûlé. C’est l’odeur de son vin, non celle de la fumée, qui lui arrivait à Alexandrie. Il est revenu exprès pour parler au tribunal de suie et de plumes : il faut que tout en lui, même ses témoignages, sente la cuisine. Il a signé une déposition ; pourtant il ne comparaît point : est-il occupé à