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au caractère même de la nature antique. Le pays d’Homère et celui de Virgile, la Sicile de Théocrite et la Sabine d’Horace étaient assortis à leur poésie. Les paysages méditerranéens, ceux de l’antiquité classique, valent surtout par les proportions, par la perfection achevée de tableaux moyens. En Grèce, en Italie, la nature n’est excessive nulle part : les montagnes, peu élevées, rarement inaccessibles, la mer, presque toujours bornée à des rives prochaines, sinon visibles, tout paraît à la mesure de l’homme, de son regard et de sa pensée.

On connaît et l’on préfère aujourd’hui d’autres paysages, qui éveillent d’autres idées. On aime l’infini et l’indéfini, dont les anciens avaient une égale horreur. De là des envolées plus hautes, un essor plus lointain de l’âme; de plus vastes et plus vagues horizons. de la aussi, par la pente insensible de la contemplation, un retour de l’homme sur lui-même et le regard final au dedans pour achever l’effet des visions du dehors. L’élément subjectif, voilà l’élément nouveau, et maintenant essentiel, du sentiment de la nature. L’homme ne veut plus s’isoler des phénomènes ni des spectacles ; il les ramène à lui, il leur cherche avec lui des rapports et des sympathies ; il fait du monde le témoin, le confident de sa vie. Les bois sont l’asile de Jean-Jacques malheureux, de Chateaubriand troublé. Faust appelle la terre son amie, et Manfred la nomme sa mère; Henri Heine pleure dans le calice des roses, Lamartine chante le Lac et le Vallon, des élégies que l’antiquité n’eût pas comprises. Amiel, enfin, donne une définition qui résume toute notre esthétique de la nature : Un paysage est un état de l’âme. Conception intéressante et féconde, qui, en rapportant à l’homme le reste de la création, concorde avec la conception même de Dieu. Elle établit entre les êtres une hiérarchie qui resserre l’unité du monde. L’homme désormais garde le premier rang, et la nature lui rend hommage en ne sachant plus être belle sans lui. Ne serait-on pas moins touché du paysage du Poussin, si l’on ne lisait sur la pierre : Et ego in Arcadia ?..

Dans la musique comme dans la littérature, la nature a subi le sentiment de l’influence de l’élément humain. Les Saisons, la Création de Haydn sont encore des œuvres descriptives et pour ainsi dire extérieures. Mais Beethoven entre en lui-même avec la Symphonie pastorale, poème de la nature encore, mais déjà poème de l’âme. Puis les caprices de la musique se prennent à tous les aspects du monde. Rossini, dans Guillaume-Tell, Weber, dans le Freischütz, font chanter la Suisse et l’Allemagne. Mendelssohn oublie l’humanité parmi les échos de Fingal ; Schumann et Berlioz, au contraire, la trouvent dans tous les échos. Meyerbeer mêle la nature et l’âme. Félicien David rêve son rêve oriental. M. Massenet