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le second, des paysans. Qu’importe si le maître a mieux fait chanter les paysans que les anges! Les Saisons offrent plus que la Création de ces beautés que nous cherchons ici : des beautés naturelles. La nature naissante, il eût fallu la recréer dans sa jeunesse d’un jour, et des yeux de soixante ans ne peuvent plus jeter en arrière un regard aussi lointain ; l’évocation du passé fatigue une imagination vieillissante. Au contraire, la nature présente, s’offrant d’elle-même à lui, devait charmer doucement les dernières années de Haydn et jeter sur son déclin un doux rayon. Déclin glorieux! Adieux paisibles d’une âme sereine à tout ce qu’elle allait quitter, non sans regrets peut-être, mais sans révolte. Haydn mourut bien comme le poète conseillait de mourir, remerciant son hôte. Tout le long des Saisons, après chaque tableau musical, après la pluie ou le soleil, après la moisson, après la vendange, Haydn remercie et loue le Seigneur. Il le loue encore à la dernière page, dans un air admirable, grave et philosophique conclusion de l’œuvre. Haydn a deviné là un sentiment moderne : celui du néant de l’homme devant la nature et de la brièveté de notre vie auprès de la longévité des choses. L’homme, comme l’année, a ses quatre saisons, après lesquelles il faut mourir. Cette mort même, Haydn la chante, et d’une voix que nous ne lui connaissions guère. Les maîtres primitifs ont parfois de ces accens qui portent loin. Naïfs, ils disent les paroles les plus profondes ; simples d’esprit, ils voient Dieu.

Qu’il était simple, le bon Haydn, et que son âme unie ignorait les replis de nos âmes! Il n’a même pas vu les troubles et les passions de l’avenir prochain ; il n’a pas soupçonné la douleur d’un Beethoven, encore moins la désespérance d’un Schumann et d’un Berlioz. Dans les Saisons, autant et peut-être plus que dans la Création, tout est joie. L’orage de l’Été n’est qu’un bienfait de plus, et quand vient l’hiver, on sait jouir encore de l’âtre qui flambe et des rouets qui chantent. Cette œuvre a quelque chose d’abondant et de savoureux. Les Saisons, ce n’est pas encore la communion intellectuelle et morale de l’homme avec la nature, mais son commerce physique, matériel avec la campagne ; c’est la campagne elle-même, et chantée par des campagnards. De là une note particulière, et qui ne se retrouvera plus. Ainsi, l’adagio de la Symphonie pastorale, postérieur aux Saisons de quelques années à peine, trahit chez Beethoven un état d’âme infiniment plus avancé. L’interprétation de la nature y est bien plus subjective, et bien plus suggestive aussi. Les vendangeurs de Haydn, ses laboureurs, ses chasseurs, ne regardent qu’avec les yeux du corps, et ce qu’ils voient ne leur est guère occasion de penser.

Mais, ces restrictions une fois faites, ou plutôt ces nuances indiquées,