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la voix retombe et les dernières notes frissonnent à peine. C’est l’homme qui a peur, ne fût-ce que pour son cadavre, de la solitude et de l’oubli.

Même dualisme de sentimens, même retour sur soi dans Mondnacht. Quatre couplets, ou plutôt quatre courtes phrases, expriment bien, par leurs périodes pareilles, la paisible continuité de la nuit. Sous le chant, un accompagnement fait d’une note d’abord seule, puis d’une seconde, puis d’une tierce, puis de tout un accord répété sans bruit et sans cesse, scintille comme les étoiles. Voilà la partie descriptive du lied. A la fin seulement, le mouvement s’élargit, les accords se fortifient et se complètent; le regard de l’homme quitte la terre, sa poitrine se dilate, et son âme, comme le disent les paroles, vole vers la patrie.

Plus bref, et non moins pénétrant, est le lied : Dans la forêt. Une noce traverse un bois; sur son chemin, les oiseaux chantent et les cors sonnent. Il n’en faut pas plus pour attrister le passant, pour éveiller en lui des souvenirs amers et pour que la mélodie, d’abord joyeuse, s’éteigne en mélancolique rêverie.

Schumann a prêté à la nature une sympathie universelle pour la souffrance humaine. Jusque dans le calice des roses, il a cru voir des pleurs. Heine avait écrit là-dessus des choses ravissantes, et le musicien a égalé le poète, s’il ne l’a surpassé. Lisez, dans le recueil intitulé les Amours du poète, le premier lied, ou le cinquième, ou le huitième ; il n’y est question que de confidences d’amour et de chagrin faites aux roses du jardin, aux oiseaux de la forêt, aux étoiles de la nuit. Impossible de rendre mieux que Schumann, avec une sensibilité plus raffinée, ces minuties douloureuses, ces imperceptibles frissons d’âme blessée, ou seulement froissée, ces larmes qu’une feuille de rose essuie, que sèche un souffle de vent. Impossible de rattacher par des fils plus ténus la nature à l’humanité.

Nous voilà bien loin des Saisons et de la Création, des paysages purement descriptifs. Ce n’est pas avec Berlioz que nous allons y revenir. Dans son intéressant volume sur Berlioz[1], M. Alfred Ernst signale avec beaucoup de discernement la beauté particulière aux passages descriptifs de la Damnation de Faust. A propos de l’introduction : Faust seul dans les champs au lever du soleil, M. Ernst dit très bien : « l’impression que Faust reçoit de la nature, voilà ce qu’exprime ce thème (le thème fondamental du morceau). Le tableau du monde extérieur est réuni à l’indication d’un caractère moral ; c’est la nature, mais la nature regardée par Faust. » Et, en même temps, M. Ernst rappelle que Beethoven avait procédé ainsi au début de la Symphonie pastorale, unissant aussi

  1. L’Œuvre dramatique de Berlioz. Paris, 1884.