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qui termine la Valkyrie, et, de cet admirable épilogue, ce n’est pas le côté imitatif que nous admirons le plus. Il s’y mêle trop de féerie et presque d’enfantillage : le glocken-spiel est un peu mesquin, et la sublimité du drame musical écrase ici l’ingéniosité du décor. Chez Gounod, peu de paysages. N’oublions cependant ni le Vallon, ni le Soir, ni Venise, ni les solitudes de la Crau dans Mireille, ni surtout le dernier acte de Sapho, cette rencontre, ou plutôt cette opposition, sur le rocher grec, du petit gardeur de chèvres et de la poétesse qui va mourir. Verdi non plus n’a guère été un paysagiste, sauf au début du troisième acte d’Aïda.

Mais un musicien contemporain a été un paysagiste, et n’a guère été autre chose. Nul n’a fait de musique aussi exclusivement pittoresque ; nul n’a senti ni prouvé ainsi que le domaine des sons confine à celui de la lumière, et que la musique peut ressembler à la peinture encore plus que la poésie. Ce musicien, c’est l’auteur du Désert et de Lalla-Roukh, le créateur et le roi de l’exotisme dans la musique, Félicien David. On pourrait définir l’exotisme : la curiosité des choses lointaines et singulières. La nature même de cette curiosité en explique l’éveil tardif dans la littérature et l’art, seulement chez l’homme blasé sur les objets à portée de ses yeux, sur les idées à portée de son intelligence. En littérature, l’exotisme ne date guère, on l’a remarqué, que de Bernardin de Saint-Pierre. Avant lui, on ignorait l’Orient. Les voyageurs du moyen âge, les croisés l’avaient vu, mais sans le regarder. Le XVIIe siècle, qui n’aimait pas même la nature au milieu de laquelle il vivait, était à mille lieues de l’exotisme. Il n’y a pas un coin d’Orient dans Bajazet, et le vers fameux de Bérénice: Dans l’Orient désert, quel devint mon ennui! est encore plus psychologique que descriptif. Bernardin de Saint-Pierre a eu le premier « la perception émue de la flore des tropiques[1]. » A son tour, Chateaubriand a compris l’Amérique, la Grèce. Il nous a ouvert les yeux à tous, et, depuis, nous avons su regarder : l’Espagne avec les romantiques; l’Afrique avec le Flaubert de Salambô ; le Sahel et le Sahara avec Fromentin; l’extrême Orient avec Pierre Loti.

En musique aussi, mais, comme toujours, plus tard qu’en littérature, l’exotisme est né. Il ne faut pas le demander au XVIIIe siècle. Ni Bach, ni Haendel ne pouvaient le soupçonner, lisent chanté la Nativité, la Passion, tous les saints mystères d’Orient, comme s’ils se fussent accomplis en Allemagne. Leurs oratorios n’étaient que des prières et jamais des tableaux. Mozart ne cherche pas non i)lus de ce côté. La marche turque, l’Enlèvement au sérail, n’ont rien d’ottoman,

  1. M. Lemaitre.