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qu’on le veuille, quand on est habitué à entendre mal parler autour de soi ; point ou presque point de ces phrases raboteuses et de ces figures incohérentes qui vont devenir nombreuses dans les Confessions et ailleurs. Non-seulement il cherche à les faire bien parler, il veut qu’ils évitent toute apparence de pédantisme ; quoique au fond ces questions lui tiennent au cœur plus qu’il ne veut le dire, il affecte quelquefois de les traiter avec une sorte de légèreté. Quand la nuit le force d’interrompre la discussion : « Voici le moment, dit-il à ses jeunes gens, d’enfermer vos jouets dans leur coffre ; » on les reprendra le lendemain. Ce n’est pas qu’il ne s’y rencontre souvent des passages sérieux, où l’émotion d’un cœur troublé se découvre, quelque effort qu’il fasse pour la contenir. Nous venons de voir que d’ordinaire le ton devient plus grave vers la fin. Mais il tient à ne pas nous laisser sur ces impressions ; la question traitée et le débat fini, la compagnie se sépare avec un sourire: Hic quaum arrisissent finem fecimus[1].

On voilà quel point, dans ses Dialogues, le style, la composition, la forme enfin, sont imités de Cicéron ; le fond paraît l’être plus encore. Quand on lit les titres que saint Augustin leur a donnés (Contra Academicos, De vita beata, De ordim), on se croit à Tusculum, parmi les contemporains de César. Sont-ce là vraiment les sujets qui préoccupaient les esprits sous Gratien ou sous Théodose, en plein christianisme, à la veille de l’invasion ? Il est difficile de le croire. Passe encore pour des études sur l’ordre du monde, sur la Providence, sur l’origine du mal : ces questions sont de tous les temps, et elles ont troublé f)lus d’une fois le sommeil d’Augustin ; mais était-ce bien la peine alors d’attaquer les académiciens, et avait-on véritablement quelque danger à craindre d’eux ? Saint Augustin nous dit lui-même qu’à ce moment les vieilles écoles étaient désertes, et qu’à l’exception de quelques cyniques vagabonds, qui amusaient la foule en attendant qu’ils fussent remplacés par les moines mendiant, et des quelques platoniciens ou pythagoriciens qui cachaient sons ce nom honorable un goût malsain pour les sortilèges et les maléfices, il n’y avait presque plus de philosophes. Puisqu’ils étaient si peu nombreux, si mal écoutés, si près de disparaître, pourquoi se mettre en peine de les combattre ? Est-ce à dire pourtant qu’il

  1. Il faut avouer que l’imitation est poussée quelquefois jusqu’à un point qui ne laisse pas de surprendre. Il arrive à Cicéron, qui, comme on sait, était fort vaniteux, de profiter de la forme du dialogue pour se décerner à lui-même toute sorte d’éloges, sous le nom d’un des interlocuteurs. Saint Augustin fait comme lui. À la fin de son traité Contre les académiciens, il a placé une tirade admirative d’Alypius qui s’achève par ces mots : « Nous suivons un guide qui, avec l’aide de Dieu, nous fera connaître tous les mystères de la vérité. » La modestie de saint Augustin a dû souffrir de transcrire ces complimens ; mais il fallait bien imiter Cicéron.