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Mais elle ne s’est reconnue qu’à la fin, et elle a écouté tout le reste de la conversation, où la sagesse antique occupe tant de place, sans y rien comprendre.

C’est donc au christianisme que toutes ces discussions philosophiques nous amènent ; avec un peu de bonne volonté, on l’aperçoit toujours dans le lointain, au bout de toutes les avenues, mais il faut avouer qu’on ne le voit pas du premier coup. On dirait qu’au lieu de le mettre en pleine lumière, Augustin cherche par momens à le voiler. Comprend-on, par exemple, que le nom du Christ, ce nom sans lequel, nous dit-il, rien ne pouvait lui plaire, n’y soit jamais prononcé ? C’est à peine si une fois ou deux il cite en passant les Écritures. Mais, en revanche, il y est partout question de la philosophie. C’est « dans le sein de la philosophie » qu’il s’est jeté après tous ses égaremens ; elle est pour lui « le plus sûr et le plus agréable de tous les ports, » et il invite ses amis à s’y réfugier avec lui. Sans elle, il ne peut y avoir aucun bonheur dans la vie. Elle promet de révéler à ceux qui l’étudient ce qu’il y a de plus important à connaître et de plus difficile à découvrir, c’est-à-dire les mystères du monde et la nature de Dieu, et il a confiance en ces belles promesses, il est sûr qu’un jour elle les tiendra. Ce jour, sans doute, est encore très loin pour lui, il lui reste beaucoup à faire: c’est à peine s’il commence à entrevoir la vérité ; « mais il n’a que trente-trois ans, et il ne désespère pas, à force de travail et de peine, en méprisant tous les biens que les hommes recherchent et en s’enfermant pour jamais dans ces études sévères, d’atteindre plus tard les limites de la sagesse humaine. » Voilà ce qu’il se promet pour l’avenir ; quant au plus grand événement de sa vie passée, sa conversion, comme elle avait fait beaucoup de bruit dans le monde, il faut bien qu’il en dise un mot ; mais il a soin de lui donner aussi, en la racontant, une teinte philosophique. Il fait allusion à la scène qui se passa dans le jardin de Milan, ou, comme il dit, à cette flamme qui le saisit tout d’un coup, et à la lecture du fameux passage de saint Paul ; mais comprend-on qu’il ajoute « que la philosophie lui apparut alors si grande, si belle, qu’à cette vue l’ennemi le plus résolu de la sagesse, l’homme le plus enfoncé dans les intérêts ou les divertissemens du monde, aurait renoncé aux plaisirs et aux affaires pour se jeter dans ses bras ? « Il s’agissait bien de philosophie en en moment ! Nous sommes, comme on voit, fort éloignés du récit des Confessions. Est-il possible d’admettre que cet homme qu’elles nous montrent terrassé par la grâce, pleurant et gémissant sur ses fautes, abîmé dans sa douleur, soit le même qui entretient ici paisiblement ses élèves de problèmes de morale et de la métaphysique, qui se met sous la direction de la philosophie avec une confiance si sereine, et promet de lui consacrer sans réserve