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M. François Coppée, de son côté, n’a pas moins eu raison de rappeler à quelques jeunes gens, puisqu’ils paraissent l’ignorer, le prix de cette rhétorique, et qu’elle n’est point assurément l’âme ni le tout de la poésie, mais enfin qu’elle en est l’une des conditions. « Parmi tous les poètes de l’humanité, nous dit-il, Victor Hugo est celui qui a inventé le plus d’images, les mieux suivies, les plus frappantes, les plus magnifiques; » et « la poésie vit d’images, » M. Coppée a eu également raison de protester contre le dédain que les « symbolistes » et les « décadens » affectent volontiers, sans l’avoir peut-être jamais lu, pour le poète des Contemplations et de la Légende des siècles. La mémoire de Victor Hugo paie en ce moment pour les adulations excessives et les flagorneries démesurées auxquelles je me suis imaginé quelquefois qu’en mourant il avait voulu se soustraire. Mais, aujourd’hui, ne serait-il pas temps, demande M. Coppée, de prendre pour Hugo les sentimens de la postérité? Nous le croyons comme lui et avec lui. Et M. Coppée a eu raison enfin de dire tout cela, comme aussi de recommander « à tous les assembleurs de rimes » le Dictionnaire de M. Duval, puisqu’il le croit capable, en dissipant les idées fausses que l’on se ferait encore d’Hugo, de rétablir la vraie, et de nous apprendre à voir en lui l’un des plus grands poètes qui aient égalé notre langue à elle-même, dans un genre où nous ne pouvions citer, il n’y a pas encore un siècle, que les noms de Lefranc de Pompignan et de Jean-Baptiste Rousseau.

Mais je ne dis pas, avec M. Coppée : « le plus grand lyrique de tous les siècles ; » et c’est le premier reproche que j’ose faire à cette courte Préface de mettre ainsi sous les pieds d’Hugo tous les siècles et tous les poètes, a Le plus grand lyrique de tous les siècles ! » vraiment, qu’en savons-nous? et qu’est-ce qu’en sait M. Coppée? Encore nous autres, critiques naïfs, dont M. Coppée semble croire que l’occupation habituelle est « d’éplucher les queues des lions pour y chercher des puces, » — et il ne nous manque habituellement pour cela que les lions, — si nous disions d’Hugo qu’il est « le plus grand lyrique de tous les siècles, » aurions-nous d’abord, selon nos forces, parcouru tous les siècles, et tâché de nous faire sur tous les grands lyriques une opinion raisonnée. Si nous donnions a Hugo une préférence marquée sur Lamartine, par exemple, ou sur Goethe, ou sur Byron, ou sur Dante ou sur Pindare, sur Ézéchiel ou sur Isaïe, nous saurions, ou nous croirions savoir, et nous dirions pourquoi. Mais il est plus commode, évidemment, de dire, et surtout plus vite fait, qu’Hugo est le a plus grand lyrique de tous les siècles ; » et voilà, quand on l’a dit, qui ne souffre plus de contradiction. Nous nous demandons seulement, avec un peu d’inquiétude, si, venant à écrire demain quelque Préface pour un Dictionnaire des rimes de Lamartine, M. Coppée ne ferait pas de Lamartine, à son tour, « le plus grand lyrique » aussi «de tous les siècles? »