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C’est ainsi que je n’ai trouvé enfin, ni à Fange, ni à Enfer, ni à Forge, les trois vers de Booz endormi :


Il était, quoique riche, à la justice enclin,
Il n’avait pas de fange en l’eau de son moulin,
Il n’avait pas d’enfer dans le feu de sa forge.


Il serait superflu de multiplier les exemples, quoique des vers d’Hugo soient toujours bons et beaux à relire. Le reproche, aussi bien, n’est pas grave ; et quand les omissions seraient encore plus nombreuses, il n’y aura rien de plus facile à M. Georges Duval que de les réparer — Dans une nouvelle édition de son Dictionnaire.

Nous pourrons peut-être alors tirer des conséquences ou des inductions. Non pas sans doute que nous ayons une grande confiance dans les applications de la statistique à la littérature : on prouve tout avec des chiffres, et même parfois la vérité, quand on sait la manière de s’y prendre. Si cependant il y a quelques objets dont le poète lui-même tire plus souvent ou plus volontiers ses métaphores ou ses comparaisons, s’il y en a quelques-uns qui semblent s’attirer ou s’appeler l’un l’autre dans ses vers, il sera permis de les compter ; et, de la fréquence de certaines images, on pourra peut-être conclure à la nature elle-même de son imagination.

Pour cette raison, il m’a semblé curieux, dans le Dictionnaire de M. Duval, de noter les quelques mots dont il a relevé, au courant de la plume, le plus d’emplois métaphoriques. L’Oiseau, à lui seul, sans indication d’espèce ni de genre, ne lui a pas donné moins de trente-neuf exemples ; la Mouche, le Papillon, l’Abeille, l’Aile en ont fourni trente-six autres, soit, au total, soixante-quinze métaphores tirées des choses qui volent, aériennes, légères, et fugitives. Les choses qui rampent, le Chien, le Serpent, l’Hydre, en ont donné trente-deux.


L’horizon semble un rêve éblouissant, où nage
L’écaille de la mer, la plume du nuage.
Car l’océan est hydre, et le nuage oiseau.


Il est singulier et remarquable, comme dans cet exemple, de voir Hugo réintégrer les mots dans leur plus ancienne acception étymologique, et, dans le siècle de l’histoire et de la science, recréer sans y penser, par la seule nature de sa vision, également confuse et puissante, les mythes oubliés dont toute une part du langage est autrefois issue. Les choses sombres ou répugnantes ont encore fourni de nombreux exemples au livre de M. Duval. J’y trouve sept fois l’Ombre ; et quatre fois seulement le Ver, mais il m’en revient un exemple que M. Duval ne donne point :


… le remords implacable
S’est fait ver du sépulcre et leur ronge le cœur ;