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nos colonnes ne peuvent plus se donner la main en trois jours. Il y a 56 lieues de Mostaganem à Miliana, et 72 de Mascara à Médéa; de là l’inefficacité de nos efforts. Le problème peut donc être posé en ces termes : trouver, entre les quatre places de Mostaganem, Mascara, Miliana et Médéa, un point tel que l’action des troupes qui partiront de chacune d’elles puisse se combiner, en trois jours de marche, avec celle des colonnes parties des autres ; occuper ce point de bonne heure, pour en faire le centre des opérations de la campagne prochaine. »

La Moricière opinait pour la position de Tiaret, non loin des ruines de Takdemt, à la limite méridionale du Tell; mais cette position trop excentrique n’était pas le nœud qui pouvait le plus sûrement rattacher les quatre villes indiquées dans le problème. Sans donner tout à fait l’exclusion à Tiaret, le général Bugeaud lui préféra d’abord un point situé dans la vallée du Chélif, à distance presque égale de Médéa et de Mostaganem. Ce point portait en arabe le nom d’El-Esnam, qui veut dire les idoles, parce qu’on y avait trouvé des débris de statues antiques. Parmi les avantages qu’il pouvait offrir, il y en avait un d’un intérêt considérable, c’est qu’il se trouvait à très peu près sous le méridien de Tenès, de sorte qu’en ouvrant une route de Tenès à El-Esnam, on avait une communication au centre même du Dahra, entre le Chélif et la mer.

En applaudissant au choix du gouverneur, La Moricière eut l’adresse de remettre sur le tapis Tiaret, non plus comme un grand centre militaire à créer, mais comme un humble poste-magasin destiné au ravitaillement des colonnes qui auraient à visiter nécessairement les Hauts-Plateaux. Dans cette mesure on ne peut plus modeste, le projet fut agréé par le gouverneur, qui, en ce temps-là d’ailleurs, était très bien disposé pour ses deux principaux collaborateurs, Changarnier et La Moricière. Afin de tenir entre eux la balance égale, en même temps qu’il concédait à La Moricière l’établissement de Tiaret, il autorisait Changarnier à fonder le pareil dans le sud du Titteri, à Teniet-el-Had. Enfin, pour que la balance fût plus égale encore, ils étaient l’un et l’autre ses candidats au grade de lieutenant-général, et il eut la joie de voir ses propositions accueillies par le ministre de la guerre. Déjà maréchaux de camp du même jour, La Moricière et Changarnier furent promus ensemble le 9 avril.

À ce propos, dans ses Souvenirs d’un vieux zouave, le capitaine Blanc raconte un incident qui n’est pas pour démentir ce qu’on connaît du second des deux nouveaux lieutenans-généraux. « Comme j’ai parlé ailleurs, dit-il, de l’animosité qui existait entre les généraux de Bourjolly et Changarnier, — Et qui datait du combat de l’Oued-el-Alleg, livré le 31 décembre 1839, — je dois rappeler une