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confiant, s’était laissé duper par le stratagème, quand, averti de son erreur et piqué des sarcasmes que ne lui ménageait pas l’humeur caustique de son chef, il revint sur ses pas, atteignit les émigrans et leur fit payer cher le mensonge dont ils l’avaient leurré. La capture fut considérable : 1,900 prisonniers, 400 jumens et poulains, 800 ânes, 1,200 têtes de bétail. Dès le lendemain, les demandes d’aman affluèrent de toutes parts. Barkani, qui s’était jusqu’alors maintenu dans le Dahra, s’empressa de repasser le Chélif et de se jeter dans l’Ouarensenis.

Tandis que sapeurs du génie, ouvriers d’administration, terrassiers, maçons, charpentiers, forgerons, serruriers, recrutés dans les bataillons d’infanterie, faisaient sortir de terre les premières constructions de Tenès et d’El-Esnam, tandis qu’entre ces deux points les disciplinaires continuaient d’améliorer la route, des travaux analogues, mais sur une moindre échelle, fondaient les établissemens de Tiaret et de Teniet-el-Had. Le dernier n’occupait pas assez le général Changarnier pour l’empêcher de manœuvrer dans l’Ouarensenis. Les troupes à ses ordres y pénétrèrent en même temps par l’Oued-Fodda, par l’Oued-Rouina et par le territoire des Beni-Zoug-Zoug. Le 12 mai, elles se réunirent, refoulèrent, sans leur donner un jour de répit, les Kabvles et les réguliers de Ben-Allal, et le 18, au point du jour, atteignirent la base escarpée du grand pic.

Sur une longueur de plus d’une lieue se dressait un mur de roc dont la crête bizarrement déchiquetée avait reçu du troupier français le nom pittoresque de cathédrale de l’Algérie. C’était sur ces hauteurs dénudées, sans une goutte d’eau, qu’une grande partie des populations refoulées avait cherché un asile. Il était difficile de les y atteindre ; on n’y aurait pu parvenir que par des sentiers en corniche, étroits, glissans, à pente rapide, et on y aurait fait de grandes pertes. A l’attaque de vive force Changarnier préféra le blocus ; l’investissement ne coûta que 5 tués et 18 blessés ; malheureusement le colonel d’Illens, l’ancien commandant de la première et infortunée garnison de Miliana, fut au nombre des morts.

La patience des troupes ne devait pas être mise à trop longue épreuve; après vingt-quatre heures de blocus, les pourparlers commencèrent; Changarnier exigeait la reddition à merci. Le 20 mai, à midi, on vit d’abord descendre pêle-mêle, beuglant, bêlant, mourant de soif, se précipitant au ruisseau qui coulait au pied de la montagne, bœufs, moutons, chèvres, une avalanche de bétail; une heure plus tard apparurent en longues files des femmes, des enfans, des vieillards, enfin les guerriers; c’était un peuple de 2,000 âmes. Changarnier se contenta de garder les troupeaux et de retenir quelques otages; tout le reste fut mis en liberté. Ainsi l’est et le centre de l’Ouarensenis avaient été ramenés à la soumission.