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et d’eau. Dirigée sur Goudjila par de bons guides, la colonne y arriva le 14 ; là les gens qu’on interrogea dirent que la smala devait être à 15 lieues environ dans le sud-ouest, aux environs d’Ousserk, sur une ligne d’eau, c’est-à-dire de puits, qui mène au Djebel-Amour, où elle allait vraisemblablement chercher les grains qu’elle ne pouvait plus se procurer dans le Tell.

Pendant la nuit du 14 au 15 et toute la matinée du lendemain, on marcha dans cette direction; mais, vers midi, on sut par un petit nègre, tombé d’aventure entre les mains de l’agha, que l’immense caravane avait plié ses tentes et s’était portée d’Ousserk vers Taguine. C’était Abd-el-Kader qui avait ordonné ce mouvement de l’ouest à l’est, parce que d’Ousserk, où il se tenait en observation avec un certain nombre de cavaliers, il avait aperçu les coureurs de La Moricière, tandis que, du côté de Taguine, il était persuadé qu’il n’y avait aucun risque à courir. On peut difficilement comprendre que l’émir, si exactement informé d’ordinaire, l’ait été si mal au sujet du prince, dont il croyait la colonne en retraite sur Boghar.

La smala avait mis quatre jours à se rendre d’Ousserk à Taguine, où elle était arrivée le 15. On estimait à plus de 300 le nombre des douars et à plus de 40,000 âmes la population qu’elle comprenait dans son immense et mobile enceinte. Tous n’y étaient pas volontairement; car, indépendamment des prisonniers considérables comme Mohammed-bel-Hadj, le chef des Beni-Ouragh, il y avait une foule d’otages de moindre importance et beaucoup de douars entraînés malgré eux. Quant à s’enfuir, il n’y fallait pas penser ; de temps en temps, l’émir faisait proclamer à travers le campement, par ses crieurs, cette brève et terrifiante sentence : « De quiconque cherchera à fuir ma smala, à vous les biens, à moi la tête ! » Des milliers d’hommes armés, Hachem et autres, avaient donc l’œil ouvert sur les suspects, sans compter les 500 réguliers qui servaient toujours de garde à la famille de l’émir.

Dans la soirée du 15, quand la smala était arrivée à Taguine, une sorte de murmure sourd et de frémissement avait traversé les lentes; des courriers de Ben-Allal venaient de répandre le bruit qu’une colonne française arrivant de l’est avait été vue dans la région du Sersou ; mais El-Djelali, un des conseillers intimes d’Abd-el-Kader, s’était hâté de faire tomber la rumeur et d’affirmer que les Français étaient au contraire à l’ouest, du côté de Tiaret, bien surveillés par l’émir en personne. Sur cette assurance, le calme se rétablit dans la smala.

Or, ce même jour, dans l’après-midi, la colonne de Boghar avait passé de la direction d’Ousserk à celle de Taguine, « soit, a dit le duc d’Aumale dans son rapport, pour y atteindre la smala, si elle y