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enivré de vos succès pour l’influence qu’ils doivent avoir sur la destinée du grand œuvre que nous poursuivons, mais encore parce qu’ils étaient obtenus par le fils du roi, que l’armée chérissait déjà et qu’elle honore aujourd’hui.

« Il y a trois jours que j’écrivais, dans un article qui doit être inséré au Moniteur algérien, que, dans la poursuite de la smala, quelles que fassent les dispositions prises, quelle que fût l’intelligence du prince chargé de cette mission, il fallait encore une faveur de la fortune pour saisir cette agrégation si bien avertie, si mobile, si bien défendue. Eh bien ! la fortune n’y a été presque pour rien. Vous devez la victoire à votre résolution, à la détermination de vos sous-ordres, à l’impétuosité de l’attaque. Oui, vous avez bien fait de ne pas attendre l’infanterie ; il fallait brusquer l’affaire comme vous l’avez fait. Cette occasion presque inespérée, il fallait la saisir aux cheveux. Votre audace devait frapper de terreur cette multitude désordonnée. Si vous aviez hésité, les guerriers se seraient réunis pour protéger les familles ; un certain ensemble eût été mis dans leur défense, et le succès, à supposer que vous l’eussiez obtenu, vous eût coûté fort cher.

« La décision, l’impétuosité, l’à-propos, voilà ce qui constitue le vrai guerrier. Il est des cas où il faut être prudent et mesuré, où il faut manœuvrer avec ordre et ensemble : c’est quand on trouve un ennemi bien préparé, fort et bien échelonné. Il en est d’autres où il faut l’élan et la rapidité d’exécution, sans s’occuper beaucoup de l’ordre. L’affaire de Taguine était dans cette dernière classe : vous l’avez compris à l’instant, et c’est là surtout ce qui fait le grand mérite de cette action. »

L’année suivante, le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud écrivait de Taguine, le 15 mai 1844, à l’un de ses frères : « Je t’écris sur le lieu même où le duc d’Aumale a pris la smala d’Abd-el-Kader, il y aura demain un an. J’examine le terrain, je me fais expliquer la position de la smala et celle du prince, et je persiste à dire que c’est un coup d’une hardiesse admirable. Avec la prise de Constantine, c’est le fait saillant de la guerre d’Afrique. Il fallait un prince jeune et ne doutant de rien, s’appuyant sur deux hommes comme Morris et Jusuf, pour avoir le courage de l’accomplir. À mon sens, la meilleure raison pour attaquer, c’est que, la retraite étant impossible, il fallait vaincre ou périr. Vingt-quatre heures plus tôt ou plus tard, il ne revenait pas au Français de la colonne. »


IV.

Nouée et dénouée en une heure, avec l’éclat d’un coup de théâtre, l’action dramatique si vivement menée par le duc d’Aumale allait