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afin qu’il n’altérât pas dans la province d’Alger la situation de M. le général Changarnier. Peu de temps après, j’ai eu l’honneur de vous le proposer une troisième fois pour le grade de lieutenant-général.

« Tous ces procédés de haute bienveillance ont glissé sur son esprit et sur son cœur; il ne m’en a pas témoigné la moindre gratitude. J’ai su au contraire qu’il affectait de dire à tout le monde qu’il devait au roi seul la haute laveur dont il venait d’être l’objet. Cependant il n’était pas plus reconnaissant envers le roi qu’envers moi, car, le 15 juillet dernier, deux mois et demi après son élévation, il me demandait un congé que je lui ai refusé dans l’intérêt de sa réputation, et non pour l’avantage que je pouvais me promettre en le gardant. Dès ce moment je prévis qu’il saisirait le plus léger prétexte pour demander à s’en aller; ses discours donnèrent la même opinion à plusieurs autres personnes. Nous n’étions pas dans l’erreur.

« Vous voyez qu’il fonde sa demande sur le motif le plus futile. Je pense n’avoir ni excédé mes droits de général en chef ni rien fait qui pût blesser la susceptibilité la plus ombrageuse, en décidant qu’il inspecterait le 26e au lieu du 58e. Voici ce que M. le général Changarnier appelle manquer aux égards dus à sa personne autant qu’à son grade. Vous en jugerez, monsieur le maréchal ; vous jugerez aussi l’ensemble de sa conduite, et surtout la portée de sa dernière démarche. Si vous l’appréciez comme moi, je présume que de quelque temps M. le général Changarnier ne recevra pas de marque de confiance de la pan du gouvernement; cela produirait un effet déplorable sur l’esprit de l’armée. Je crois même devoir vous exprimer le vœu qu’il ne soit pas appelé au comité comme inspecteur-général.

« Je termine, monsieur le maréchal, en vous priant de rappeler en France M. le général Changarnier. Sa conduite, depuis qu’il est lieutenant-général, m’a prouvé que l’armée n’avait plus de bons services à attendre de lui, et que toute son ambition était d’aller se reposer en France. Il l’a manifesté, dit-on, le jour même où il a reçu en nomination. Pour mon compte, je suis heureux de me séparer de lui, et je pense qu’il ne laissera pas de regrets dans l’armée, parce que, depuis quelque temps, il traitait les officiers, même d’un grade élevé, avec une rudesse quelquefois révoltante. Je joins encore deux lettres de Blida, des 1er et 2 août 1842; j’en trouverais bien d’autres inconvenantes. Vous me demanderez pourquoi j’ai souffert tout cela, et vous aurez raison; mais j’avais du faible pour le général Changarnier. »

Dans cette même journée du 12 août, après avoir reçu, en grande solennité, des mains du commandant Liadières, officier d’ordonnance