Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/806

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa surface; mais il n’est pas encore parfaitement soumis, et il faudra longtemps pour le discipliner et nous l’assimiler. Matériellement, Abd-el-Kader est presque anéanti; il ne lui reste plus que de faibles débris de ses troupes régulières, et c’est avec mille expédiens qu’il parvient à les nourrir; mais il lui reste encore son ascendant moral, et certainement il en usera souvent. Il ne peut plus rien faire de sérieux, mais il nous tracassera tantôt sur un point, tantôt sur un autre. Il n’abandonnera la partie que quand il ne lui restera ni un soldat, ni un écu, ni une mesure d’orge. »

Le maréchal Bugeaud connaissait bien le génie de son infatigable adversaire. Établi chez les Djafra, le camp de l’émir était le rendez-vous de tous les hommes d’aventure; vers la fin du mois d’août, il avait réuni 700 ou 800 chevaux. Les tribus de la Yakoubia, les Assasna surtout se sentaient menacés. Malgré les chaleurs, La Moricière fît sortir tout son monde, le général de Bourjolly de Mostaganem, le général Bedeau de Tlemcen, le colonel Géry de Mascara, le général Tempoure de Sidi-bel-Abbès, poste-magasin récemment créé entre Mascara et Tlemcen, dans la plaine des Béni-Amer. Chacun se tenait alerte; La Moricière donnait l’exemple à tous. Le 24 août, il se crut au moment de gagner la partie; à sept heures du soir, il tomba sur le campement d’Abd-el-Kader, mais Abd-el-Kader n’y était plus : on ne lui prit que ses tentes et celles de Ben-Allal. Manœuvrant, ou plutôt se glissant entre les colonnes françaises, l’émir essaya d’une nouvelle pointe au nord, vers Mascara ou Sidi-bel-Abbès. Dans la nuit du 29 au 30 août, il fut subitement arrêté par un qui vive? C’était le bivouac du colonel Géry. Tout étonné de la rencontre, il se rejeta vivement sur la droite. Le 12 septembre, ce fut le colonel Géry qui lui rendit sa visite. Le campement arabe, sur l’Oued-Tifret, fut encore une fois surpris, mais encore une fois à peu près vide : l’émir avait eu le temps d’en déloger; on ne gagna dans cette affaire que le restant bien réduit de son mince bagage. Quelques jours après, La Moricière fut averti qu’il s’était replié sur la Yakoubia, aux marabouts de Sidi-Youcef.

Le 22 septembre, à trois heures du matin, la colonne se mit en route à travers les broussailles qui sont honorées du nom pompeux de forêt des Assasna. Le colonel Morris, récemment nommé au 2" chasseurs d’Afrique, tenait la tête avec quatre petits escadrons de son régiment, un détachement de spahis et quelques Medjeher, 380 chevaux pour le tout. Suivaient à quelque distance un bataillon du 13e léger et le 41e de ligne. A 6 ou 7 kilomètres de Sidi-Youcef, on aperçut les vedettes de l’ennemi, qui tirèrent leur coup de fusil et s’enfuirent; Morris aussitôt se jeta sur leur piste, laissant l’infanterie en arrière. Du sommet d’une colline, il aperçut un bataillon et demi de réguliers et 150 cavaliers environ, qui hâtaient la