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Nouvelle absence du mari, nouvelles larmes. « Grâce à ma Delphine qui ne m’a pas quittée de tout le jour pour se consoler avec moi du départ de son petit mari[1] qui nous a laissées ce matin pour se rendre à Paris où il a quelques affaires, je n’ai pas eu un moment à moi. Elle était si triste, cette pauvre petite femme, qu’elle m’a fait pleurer avec elle. Et pourquoi ? Parce qu’elle ne verra pas son mari de quatre jours. »

Elle rentre à Paris pour aller à la cour. Être présenté, c’était, aux yeux du monde, la véritable consécration du rang social. Il fallait voir d’abord tous les ministres ; puis il y avait cent une visites à rendre aux titulaires des diverses charges du palais. Quel jour solennel que celui de la présentation à la cour ! Quelle minutieuse répétition du cérémonial et des révérences qui étaient une partie de l’éducation ! C’est le 27 novembre que la comtesse de Sabran, « parée comme une châsse, avec ses deux petits tourtereaux, » accomplit cette importante cérémonie. Il n’y avait plus qu’à se montrer une fois à l’Opéra, dans une loge du côté de celle de la reine. Rien ne fut oublié, et Mme de Custine prit ainsi sa place dans cette société à la fois formaliste et séduisante, à la veille de disparaître.

Nous n’avons plus pour nous guider désormais la Correspondance de Mme de Sabran ; M. de Boufflers revenait du Sénégal.

« Ce mois de novembre ne se passera pas sans doute sans que ta pauvre femme t’ait embrassé, sans que ton cœur ait battu contre le sien, sans qu’elle t’ait dit ce qu’elle l’écrit sans cesse, qu’elle t’aime avec raison et sans raison, comme on n’aime jamais au ciel et sur la terre. » Et quand elle reçoit, le 29 décembre, la nouvelle de son débarquement, elle en est si troublée qu’elle ne sait dire autre chose, sinon qu’elle l’attend. Elle ne fait pas de phrases, elle tombe malade d’émotion. « Mais que je meure à présent, j’y consens, écrit-elle, puisque je peux mourir dans tes bras ! »

Nous voyons dans quel milieu de tendresse avait été élevée Delphine de Custine. Il n’y a pas, du reste, d’événemens à raconter, jusqu’au jour où elle fut jetée brusquement en pleine tragédie. Nous allons la retrouver passionnée, dévouée, énergique. Laissons couler silencieusement ces dernières heures de félicité parfaite. Un fils lui naquit, Astolphe. Elle le nourrit, en vraie fille de Rousseau. Elle avait persuadé, trois mois après son mariage, sa mère et son mari de l’accompagner à un pèlerinage de Notre-Dame-de-Liesse. N’avait-elle pas lu dans de vieilles chroniques que des reines y étaient allées pour trouver le secret d’avoir des enfans ? Cette folie les avait fort divertis.

  1. Lettre du 10 novembre 1787.