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tout le monde l’assurait. Vincent se retira sans pouvoir en dire davantage. Ensuite l’interrogatoire commença[1].

L’acte d’accusation exposait que, par décret de la Convention du nivôse an II (1794), il avait été ordonné que Louis-Philippe-François Custine, ex-noble, âgé de vingt-cinq ans et demi, né à Paris, ci-devant ministre plénipotentiaire à Berlin et depuis aide-de-camp d’Adam-Philippe Custine, son père, était prévenu de complot contre la république et de complicité dans la trahison du général contre l’empire français (sic).

Le président Dumas l’interrogea sur la lettre interceptée. Il lui demanda quelles étaient les peines paternelles auxquelles il prenait une si douloureuse part. Philippe de Custine répondit qu’il s’agissait alors de la prise de Condé, qui avait eu lieu presque au moment où le général était venu prendre le commandement de l’armée du Mord, et que sa douleur était d’autant plus vive que, Valenciennes étant menacée du même sort, les ennemis de son père ne manqueraient pas de lui en faire un crime, quoique, depuis son arrivée à l’armée, il lui eût été impossible d’établir une communication avec les deux places.

Interrogé sur le motif qui le faisait instruire son père du renouvellement du comité de salut public, il répondit que rien n’était plus intéressant pour un général d’armée que de savoir à quels hommes il avait affaire et quel parti il pouvait tirer de leurs lumières. Dumas alors lui demanda s’il avait eu des liaisons avec les députés frappés par le glaive des lois, c’est-à-dire avec les girondins : « Je ne les ai jamais vus, dit Philippe de Custine, que dans les différens comités dont ils étaient membres et où j’étais obligé de me rendre pour les affaires de mon père. J’estimais leurs talens et j’ignorais leurs intentions. »

Le public qui se pressait dans la salle du Palais de Justice était déjà bien disposé en faveur de l’accusé, et l’on entendait répéter dans tous les coins : « Mais il n’y a rien là-dedans. Ce jeune homme sera sûrement acquitté. » C’est alors que Dumas, voyant sa proie lui échapper, commit un de ces actes iniques que la conscience ne doit pas se lasser de flétrir.

On se rappelle que Philippe de Custine avait été envoyé auprès du duc de Brunswick au commencement de la guerre, pour la plus délicate des négociations. Le jeune envoyé avait tout fait pour réussir. Ses lettres montraient en lui une maturité précoce, en même temps que les sentimens les plus élevés. Elles promettaient, par les qualités de tact et de finesse qui y sont révélées, un diplomate.

  1. Archives nationales. Section judiciaire no 306, no 380.