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Custine, et la petite femme me paraissait répondre assez volontiers à toutes ses attentions. » Il est vrai que Mme Elliott se hâte d’ajouter : « Je suis loin de supposer que les choses aient dépassé les limites des convenances. »

En tout cas. le roman ne dura pas longtemps. Les jacobins crurent ou feignirent de croire à une conspiration des prisons ; une Large fournée de victimes fut livrée au bourreau ; et, dans le nombre, Beauharnais. « Ses adieux, dit encore Mme Elliott, furent d’une tristesse affreuse. Il avait fait un très bon portrait de moi, qu’il donna, en nous quittant, à la pauvre petite Mme de Custine. Sa malheureuse femme fut inconsolable pendant quelque temps ; mais elle était Française, et son mari n’avait jamais eu d’attentions pour elle. L’autre dame (Mme de Custine) n’a jamais souri depuis la mort de Beauharnais. »

Nous ne relèverons pas l’insistance avec laquelle l’ancienne maîtresse du duc d’Orléans parle de la légèreté des femmes françaises. Nous rectifierons seulement ses assertions. M. de Beauharnais avait été l’ami du général de Custine ; et lorsque, après cinq mois de captivité, il fut emmené à l’échafaud, ce n’est pas le portrait de Mme Elliott qu’il remit à Delphine, mais un talisman arabe monté en bague. Quant au sourire à jamais disparu. Mme Elliott n’assistait pas aux entrevues avec Chateaubriand et aux douces soirées de Fervacques. Mais le roman (nous entendons par là l’imprévu dans les sentimens et dans les événemens de la vie) n’en joua pas moins son rôle dans le séjour de Mme de Custine aux Carmes et dans l’instruction de son procès. Nous lisons dans son dossier aux Archives nationales, que, pendant les premières semaines de sa détention, elle fut ramenée à son domicile trois ou quatre fois. Elle put revoir ainsi à la dérobée son jeune enfant ; tel n’était cependant pas le but de ces courtes extraditions. Elle assistait aux perquisitions du comité révolutionnaire de la section et subissait ensuite un interrogatoire.


Voici l’un de ces procès-verbaux : c’est une page encore vivante dans sa sécheresse !

« Ce 29 floréal de l’an II de la république française, une et indivisible,

« Nous, membres du comité révolutionnaire de la section de Bondy, en vertu de l’ordre du comité de sûreté générale, en date du 10 floréal, portant d’extraire la citoyenne Delphine Sabran, femme Custine, de la maison d’arrêt, pour être témoin à la levée des scellés apposés à sa maison, rue de fille, no 509, section de la Fontaine-de-Grenelle, nous nous sommes transportés à cet effet dans la maison d’arrêt dite des Carmes, rue de Vaugirard, où