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n’est pas le seul dont la France se montre atteinte. Les derniers événemens en ont dévoilé un autre, sinon plus dangereux, du moins plus rapide; nous voulons parler de l’agitation révolutionnaire. Aucun état n’en est aujourd’hui indemne : la monarchie n’en préserve pas plus que la république. Ce qui est particulier à la France, ce qu’a révélé la crise présidentielle, c’est l’action des élémens révolutionnaires sur le gouvernement. On a vu entrer en scène un nouveau pouvoir qui, pour n’être pas occulte, n’en est pas plus constitutionnel. La rue a reconquis une place dans la politique française. Elle n’avait pu maintenir son favori au ministère de la guerre; elle a pris sa revanche avec l’élection du président. Si elle n’a pas imposé de candidat, elle a imposé son veto.

Le comité central révolutionnaire s’est reformé. Pendant trois jours, il a couvert Paris de ses affiches rouges sans que la police osât y porter la main. Elle est moins timide avec les manifestes des exilés. Le conseil municipal a pu impunément annoncer une insurrection si le nouveau président n’était pas de son goût. La nuit qui a précédé l’élection, la commune de 1871, le hideux revenant, a fait une apparition à l’Hôtel de Ville. Pour avoir raison de la représentation nationale, il a suffi du spectre de l’émeute : devant lui s’est évanouie la candidature antipathique aux Parisiens. Ce qu’il a pu faire pour une élection à la présidence, le parti révolutionnaire peut se le permettre pour une crise ministérielle. La chambre saurait-elle mieux résister lorsque, ne pouvant se réfugier à Versailles, elle entendrait, du Palais-Bourbon, le grondement du flot populaire sur les quais ou la place de la Concorde ? Quand, un jour de congrès, en pleine paix, le gouvernement étant sur ses gardes et les troupes sous les armes, les manifestations de la rue ont un tel ascendant, l’étranger se demande ce qu’il adviendrait en temps de guerre, alors que Paris serait dégarni de troupes, ou que tout le peuple serait armé. Faudrait-il, à la première rumeur de défaite, voir le drapeau rouge hissé sur Notre-Dame et la France en guerre civile?

L’étranger se méprend, nous dira-t-on; il n’a pas compris les événemens de décembre. Ce que de loin il prend pour une marque de faiblesse est un signe de force. Ce n’est pas la crainte de l’émeute, c’est le besoin d’union qui a inspiré l’élection de M. Carnot. Elle est sortie d’un élan spontané, comme en suscite notre patriotisme en toutes les grandes occasions. L’attitude des chambres, lors de la démission de M. Grévy, montre que les Français savent au besoin faire abstraction de leurs querelles. On le ferait bien, en cas de guerre, voir à l’ennemi.

Soit ; le caractère français a de ces brusques mouvemens qui déconcertent les étrangers. Sa générosité native offre autant de