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d’amputer la France de deux provinces, c’était un moyen de la jeter tôt ou tard dans les bras de la Russie. Le tort du reste de l’Europe est de ne l’avoir pas compris. Cela explique en partie les toasts portés par le tsar, en 1870, au roi Guillaume. En félicitant le vainqueur de Sedan, Alexandre II croyait pouvoir se montrer bon neveu sans cesser d’être bon patriote.

Son voyage à Paris en 1867, le coup de pistolet de Bérézowski, le « Vive la Pologne, monsieur ! » du Palais de Justice, étaient peu faits pour l’ériger en sauveur de la France. Impériale ou républicaine, il ne lui déplaisait pas qu’elle fût humiliée, cette orgueilleuse France qui lui avait refusé la révision du traité de Paris. Peut-être eût-il été plus prévoyant de ne pas laisser démanteler la frontière française. Alexandre Ier ne l’avait pas permis en 1815 ; mais, en 1815, Alexandre Ier était un des vainqueurs de Napoléon, et s’il se piquait d’être magnanime envers les vaincus, l’ami du duc de Richelieu avait le droit d’intervenir à la paix. Il faut bien reconnaître que, pour les Russes, ce que l’année terrible a eu de plus de grave, ce n’est pas la mutilation de la France, c’est la résurrection de l’empire germanique au profit des anciens cliens des Romanof-Holstein, les Hohenzollern, qui passaient empereurs à leur tour. La grande vaincue de 1871 était politiquement peu sympathique. Alexandre II et Gortchakof l’abandonnèrent avec d’autant moins de scrupules qu’en la sacrifiant, ils se croyaient sûrs de la garder à leur disposition. En cas de difficultés avec le nouvel empire allemand, ils savaient avoir sur ses derrières un auxiliaire auquel ils n’auraient qu’à faire signe. La France était devenue un atout dans le jeu de la Russie. Ce qu’on pouvait prévoir dès 1871 devait se manifester le jour où il plairait à Pétersbourg.

Pourquoi la Russie aurait-elle fait des avances? Elle n’en avait pas besoin, tant qu’elle avait de bons rapports avec ses voisins de la Baltique. La république française restait pour elle un en-cas ; mais elle préférait s’en passer. Cette pauvre France continuait à inspirer peu de sympathies au Palais d’hiver. Pour lui avoir laissé enlever deux provinces, on n’entendait point cependant la laisser détruire. On le vit bien en 1875, lorsque l’état-major de Berlin eut des velléités d’écraser la France avant qu’elle n’eût eu le loisir de reconstituer ses forces. En attendant, à l’amitié de la république française, Alexandre II préférait celle des deux empires, ses voisins. Cela était plus sûr, puis cela avait meilleure façon ; pour un tsar, des empereurs étaient des alliés d’un meilleur monde. L’autre alliance avait quelque chose d’une mésalliance.

Les déceptions de la guerre turco-russe et du congrès de Berlin vinrent changer les dispositions de Pétersbourg. Après les complaisances