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était, à son inspiration burlesque ; il le félicite de s’être élevé, par des degrés magnifiques, «jusqu’à la fantaisie du rire dans toute sa pompe et au gai sabbat le plus délirant. »

M. Henri Meilhac n’a pas fait le Misanthrope ni le Tartufe; mais il a fait, pour commencer, avant qu’il eût rencontré M. Ludovic Halévy, le Petit-Fils de Mascarille et la Vertu de Célimène, sans compter l’Autographe; depuis, avec l’auteur de la Famille Cardinal et de l’Abbé Constantin, il n’a pas fait seulement la Petite Marquise et les Sonnettes, la Boule et la Cigale, mais encore Fanny Lear et Froufrou : voilà, sans doute, assez de preuves qu’il sait travailler dans un genre plus «noble» que celui du Palais-Royal et des Variétés; au demeurant, on ne dit pas qu’il ait donné la dernière. Mais quoi ! il n’a pas la prétention d’être un plus grand personnage que Molière : il ne s’interdit pas ces « fusées, » qui ne sont que les jets d’une belle humeur lâchée avec bonhomie. Décoré, en ce sens, est le plus abondant, le plus vif, le plus étincelant des feux d’artifice : un bouquet de lumineux esprit, sortant d’un fonds de jeunesse admirable, s’élevant avec force, avec légèreté, fleurissant le ciel parisien de pétillantes étoiles. À ce joli épanouissement, tout le public bat des mains : tant mieux! Ce n’est pas pour Décoré seulement que nous devons aimer, estimer M. Meilhac ; mais puisque, dans ce moment où l’on se rappelle toutes les raisons que l’on a de l’estimer et de l’aimer, Décoré, par un joyeux hasard, fait son apparition, vive Décoré !... Laissons Lysidas établir que « ces sortes de comédies ne sont pas proprement des comédies, et qu’il y a une grande différence de toutes ces bagatelles à la beauté des pièces sérieuses... Cependant tout le monde donne là-dedans aujourd’hui ; on ne court plus qu’à cela, et l’on voit une solitude effroyable aux grands ouvrages lorsque des sottises ont tout Paris... »

C’est à propos de l’École des femmes que se lamentait ce connaisseur: — déjà ! Quels grognemens dut-il pousser à l’aspect de Monsieur de Pourceaugnac, du Malade imaginaire, du Bourgeois gentilhomme! Il eut le chagrin de les voir, car Lysidas a la vie dure : il est éternel. Il peut encore se récrier aujourd’hui, à moins qu’en vieillissant il ne soit devenu philosophe. En ce cas, il se résignerait, du moins; il regarderait avec indulgence l’allégresse universelle, et, sans peut-être en prendre sa part, il en prendrait son parti : « Pourquoi m’étonner, se dirait-il, qu’on accoure vers un ouvrage où flambe si librement la fantaisie? C’est justement cette flambée qui attire les hommes : ils vont s’y réjouir les yeux et s’y réchauffer. Sinon, hier, mardi-gras, à la Comédie-Française, il fallait remplacer Monsieur de Pourceaugnac, non pas par le Misanthrope, mais par une bonne lecture de l’Éthique de Spinoza!.. J’ai peut-être eu tort, autrefois, quand tout Paris applaudit l’Ecole des femmes, de dire que le cœur m’en saignait et que cela était honteux pour la