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de Pourceaugnac, le Bourgeois gentilhomme, le Malade imaginaire, la comédie reste humaine. Dans cette débauche de plaisanteries, dans l’ivresse de ces bacchanales, le poète ne cesse pas d’être l’observateur de nos misères intimes; ou plutôt, la cause même de son hilarité bruyante, c’est que le ridicule de ces misères lui apparaît violemment, comme) dans une vision. — Le chef de ces matassins est un apothicaire, en qui domine l’esprit de métier; il recommande un médecin : « Voilà déjà trois de mes enfans, dit-il, dont il m’a fait l’honneur de conduire la maladie, qui sont morts en quatre jours, et qui, entre les mains d’un autre, auraient langui plus de trois mois... Il ne me reste plus que deux enfans;.. il les traite et gouverne à sa fantaisie.» — Entiché de noblesse, M. Jourdain ne veut point pour son gendre de l’honnête garçon qui aime sa fille et qui est aimé d’elle ; « Vous n’êtes point gentilhomme, vous n’aurez pas ma fille ! » Et s’il faut, pour assurer le bonheur de Lucile, faire circonvenir son père par un «muphti » et plusieurs «dervis,» c’est que ce merveilleux bourgeois, plutôt que de la donner à Cléonte, la donnerait au fils du Grand-Turc ! — L’amour paternel, chez Argan, offre la même pureté, le même désintéressement. Pour complaire à sa femme qui le soigne, ou plutôt qui soigne sa manie, Argan fait venir un notaire : « Ma femme m’avait bien dit, monsieur, que vous étiez fort habile et fort honnête homme. Comment puis-je faire, s’il vous plaît, pour lui donner mon bien et en frustrer mes enfans? » Ce n’est qu’en devenant médecin lui-même qu’il renonce à contraindre Angélique d’accepter un Diafoirus pour mari : « c’est pour moi, disait-il, que je lui donne ce médecin, et une fille de bon naturel doit être ravie d’épouser ce qui est utile à la santé de son père.

L’ironie de M. Meilhac n’est pas si féroce : elle amène pourtant des créatures vivantes à faire la confession naïve de leurs travers. Cette fois encore, ce ne sont pas des poupées qui gesticulent devant nous : avec ce prince nègre, voici des Parisiens, nos semblables, nos frères ; avec ce lion, voici des hommes. Et si l’auteur lâche ce lion aux trousses de ce nègre dans les couloirs d’un hôtel français, n’allez pas croire que ce soit pour rien, par un caprice absurde. Il donne ainsi au héros une occasion de montrer son caractère; et plus singulière, plus éclatante est l’occasion, plus le trait de caractère frappera l’héroïne : comment ne pas admirer, ne pas aimer un galant qui charge un lion à coups de parapluie? Si l’honneur du mari, — qui chasse pendant ce temps-là un gibier moins farouche, — ne périt pas dans cette aventure, on pourra dire qu’il l’a échappé belle ! Donc le rugissement de ce lion, qui n’est pas même un lion, — le spectateur s’en doute, — le bruit de ce verre de lampe dans lequel souffle un machiniste, ce bruit aussi bouffon que celui d’une trompe de carnaval, est