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Corinti repart ce soir pour Rome et doit s’arrêter quelques heures à Mâcon. Jolie et maintes fois compromise à Paris avant son mariage, elle y est revenue plus jolie encore, et les mauvaises langues prétendent qu’elle y a cherché vainement la bagatelle de 2,000 louis que son couturier lui réclame : le généreux Colineau rêve de l’accompagner jusqu’à Mâcon. Une visite qu’elle lui fait encourage son espoir: — notons que l’entretien, qui serait facilement grossier, est d’un bout à l’autre exquis. — Succède un autre duo : Henriette, Edouard. Elle s’indigne, mais faiblement, de son impertinence: n’a-t-il pas eu l’audace de lui proposer un petit voyage en tête-à-tête? Lui, de son côté, use de tous les sophismes, de toutes les protestations à moitié hypocrites, à moitié sincères, qui sont l’ordinaire plaidoyer des amoureux, « Quand vous avez osé, fait-elle, me demander de venir à Harfleur, c’est comme si vous m’aviez dit... — Oh! non! » s’écrie-t-il. Sans doute, elle n’est pas dupe de ce distingue; mais le moyen d’en vouloir à un homme dont elle entend dire du bien partout! Oui, tout à l’heure encore, chez sa couturière, on a raconté qu’il avait empêché un chien d’être écrasé : il avait sauté au nez des chevaux! Et voici que, par une inspiration singulièrement opportune, Colineau lui-même, pour être libre d’aller à Mâcon, envoie sa femme à la campagne, sur la ligne du Havre : il prétend qu’elle y fasse une retraite, qu’elle y calme ses nerfs et s’y fortifie contre la tentation. A la même heure, un train emporte Colineau avec la comtesse vers Mâcon, un autre emporte Edouard et Henriette, — mi-résistante, mi-consentante, — vers Harfleur. N’est-ce pas là, en raccourci, une peinture des dissensions d’un ménage? Ces deux trains qui s’éloignent l’un de l’autre, n’est-ce pas une figure, une figure proprement dramatique, de son désarroi? Ce premier acte, on en conviendra, est une pimpante exposition de comédie.

Comment donner une idée du second? C’est là que se reconnaît une fois de plus la vérité de cette parole de Sainte-Beuve : « Le génie de l’ironique et mordante gaîté a son lyrique aussi, ses purs ébats, son rire étincelant, redoublé,.. inextinguible! » . On y voit, dans ce deuxième acte, par une série d’expériences qu’un sage a follement inventées, à quoi tient l’amour, l’amour adultère, — un bien grand mot et un bien gros mot pour un sentiment si faible et si frivole, — la prétendue passion d’une jeune bourgeoise élégante, qui a plus d’imagination que de sensualité, plus d’esprit que de cœur. Premier épisode (considérez que ces épisodes ne sont pas des ornemens, mais les élémens essentiels de l’action, les expériences mêmes dont je parle) : en arrivant à Harfleur, en venant de la gare à l’hôtel, Edouard s’est jeté à l’eau pour en retirer un homme qui se noyait. Il a cru plaire à sa compagne en se montrant digne d’elle : ah ! bien, oui!.. Colère de Mme Colineau : ayant l’honneur de l’accompagner, devait-il s’occuper de cet inconnu? A-t-il pensé à ce qu’elle serait devenue, elle, dans cette ville,