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jamais que ta femme, si l’intention vaut le fait, fut aussi coupable que toi! Non, tu ne le sauras pas, car la surprise même de cette croix, qui manque de s’accrocher sur ta poitrine, on te l’explique ingénieusement. Et à quoi bon te révéler la vérité? Voilà ta femme remise dans le chemin du devoir, qui est le plus uni et le plus commode ; elle n’en sortira plus, elle « n’en aurait plus la force... Vous avez entendu dire, n’est-ce pas, que les gens qui s’étaient manques ne recommençaient presque jamais!.. »

Ainsi, — sans commentaire et sans prédication, grand Dieu ! — Cette comédie ou cette farce (je ne tiens pas aux mots) se trouve édifiante en même temps qu’amusante. Par le spectacle seul des caractères en action, — Tous conformes aux mœurs du jour, — par ce spectacle burlesque, elle est aussi probante, aussi bonne conseillère que les plus « grands ouvrages » et que les pièces les plus «sérieuses.» — Mlle Réjane, comédienne exquise, énergique autant que fine; M. José Dupuis, dont la naïveté bouffonne atteint à des hauteurs lyriques; M. Baron, qui joint un grotesque épique à la vraisemblance moderne, ces excellens artistes mériteraient un prix Montyon pour avoir contribué au succès d’un ouvrage si « utile aux mœurs !)i — Voilà ce qu’on nomme « bagatelles et sottises! » Mais ce n’est pas d’aujourd’hui, ce n’est pas non plus dans le seul temps de Molière qu’il se trouve des gens chagrins pour maudire la vogue de ces sottises-là ; et les « sots » qui les font ne s’en portent pas plus mal ! Il y a, chez nous, en quelques recoins du public, une tradition ininterrompue de mauvaise et pédante humeur, contre laquelle, grâce au bon sens national, les hommes d’un talent véritable ont toujours eu le dernier mot.

Je sais un auteur, entre Molière et nous, que beaucoup de ses contemporains daignaient louer à peine pour «la multitude, la variété, la gentillesse de ses ouvrages. « Il est vrai qu’au lieu de s’élever au « style particulier » des grands auteurs, qui n’écrivent « presque jamais comme on parle.., c’est la nature, c’est le ton de la conversation qu’il essayait de prendre. » Lui-même a fait cet aveu : « Presque aucune de mes pièces n’a bien pris d’abord. » Une seule, d’ailleurs, parmi celles qui devaient plaire ensuite, une des moindres, un acte, eut l’honneur de paraître pour la première fois sur la scène de la Comédie-Française : pour théâtre ordinaire, ce fabricant de babioles avait celui des Italiens, un « petit théâtre » du temps. — Il s’appelait Marivaux.


LOUIS GANDERAX.