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Il se trouve encore aujourd’hui en face d’une situation européenne qui exige autant d’attention que de prudence. Devant toutes les difficultés, il a montré de la tenue, du tact, de la dextérité, maintenant avec une fermeté mêlée de modération les droits de la France. Sans être député, il a rapidement inspiré assez de confiance pour qu’on l’ait laissé tranquille en lui épargnant de vaines interpellations, et il a été assez habile ou assez heureux pour survivre déjà à deux crises ministérielles. Que lui faut-il de plus ? Où était pour lui la nécessité de briguer une députation dont il n’a pas eu besoin jusqu’ici ? Le voilà réduit à la condition d’un candidat ordinaire, débitant aux braves habitans des Hautes-Alpes un certain nombre d’honnêtes banalités sur « l’extension de leurs pâturages » et sur leurs intérêts forestiers, ou laissant échapper quelque parole de trop dans un discours de circonstance. Que peut-il y gagner ? S’il échouait par hasard, il aurait d’un seul coup perdu sa position ; s’il réussit, il n’aura rien ajouté à son crédit diplomatique. On aurait rêvé pour lui, dit-on, une plus haute fortune, la position éventuelle de chef parlementaire, de président du conseil. C’est possible, ce n’est qu’une illusion. M. Flourens, élu député, peut être un président du conseil comme un autre ; il le sera ni plus ni moins, comme les autres, exposé désormais comme ceux qui l’ont précédé à toutes les chances de la guerre des partis. Pour courir la fortune d’un chef de cabinet éphémère, il risque de compromettre l’autorité du ministre des affaires étrangères qui, en restant dans son rôle, pouvait continuer à être utile, — et qui, au lieu de s’en aller à Gap ou à Embrun, aurait pour le moment assez d’occupation à suivre de prés au quai d’Orsay les affaires de l’Europe.

Aussi bien ces affaires sont-elles de nature à ne laisser aucune politique indifférente. Ce sont les affaires de tous les peuples, de tous les gouvernemens entre lesquels s’agite le problème sans cesse renaissant des rapports généraux, des alliances, des antagonismes de puissance, de la guerre ou de la paix. Où en sont-elles aujourd’hui ces alliances, où en sont-ils ces rapports d’où dépend le repos du continent, la sécurité de demain ? Par une sorte de fatalité, tous les hivers, à l’approche de tous les printemps, ces questions se reproduisent comme pour rappeler à l’Europe que rien n’est fini ni en Orient ni dans l’Occident. Elles existaient il y a un an, elles ont reparu cette année, depuis deux mois surtout, depuis qu’il a été avéré que la Russie, sans menacer ses voisins de l’ouest, mais sans se laisser endormir dans sa vigilance, tenait à se mettre en garde sur la frontière de Pologne.

La Russie s’est armée, l’Autriche s’est émue, l’Allemagne s’est agitée, le monde a été un moment dans l’attente. On ne savait pas ce qui allait arriver, ou ne le sait peut-être pas beaucoup mieux encore ; mais s’il y avait quelqu’un qui pût débrouiller cette énigme, éclaircir cette situation à la fois ambiguë et violente, c’était M. de Bismarck,