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à disparaître devant les sciences positives, la « philosophie de l’ignorance » devant la a philosophie du savoir[1]. » Répondons-leur d’abord en quelques mots.

Dans leur théorie des trois âges, ils nous répètent à satiété, comme leur grande découverte, que la théologie consistait à expliquer les choses de la nature par des volontés surnaturelles, la métaphysique par des entités abstraites, forces, substances, idées, etc., tandis que la science, enfin souveraine, les explique par des lois. — Or, la vraie métaphysique n’a nullement à chercher l’explication de phénomènes particuliers et naturels. Ce fut sans doute l’erreur de la scolastique ; mais, de nos jours, la philosophie a pour première règle de ne jamais usurper sur le domaine des sciences particulières et de se maintenir au point de vue du tout. Le problème métaphysique, en effet, surgit par la mise en rapport de ces deux termes : notre organisme mental d’une part, et de l’autre l’univers. Si on convient d’appeler science, au sens large du mot, ou au moins connaissance, un système raisonné de faits et d’idées capable d’entraîner la certitude ou la probabilité, la métaphysique pourra se définir la science qui étudie et apprécie la manière dont tout notre organisme mental réagit par rapport à la totalité des impressions qu’il reçoit de l’univers. La métaphysique cherche quelles sont les diverses réactions possibles, la part qui revient à la constitution propre de la pensée, la part qui revient à l’action du milieu extérieur ; elle détermine, classe, critique nos différentes conceptions de l’ensemble des choses. La réaction peut-elle même aller jusqu’à dépasser le monde visible, et, si elle va au-delà, est-elle légitime? Voilà ce qu’elle se demande. En un mot, elle est la recherche des représentations subjectives de l’univers les mieux en harmonie avec l’état actuel des sciences objectives, en même temps qu’avec les formes essentielles de la pensée.

De plus, ce n’est pas seulement notre intelligence qui agit et réagit, c’est aussi notre sensibilité, c’est aussi notre volonté. Il y a des sentimens esthétiques et moraux qui sont comme une réponse du cœur de l’homme à l’univers; il y a des volitions, des actions en vue de l’universel, qui semblent constituer précisément la plus haute moralité. L’imagination même réagit par la conception des symboles religieux. La métaphysique doit étudier et apprécier toutes ces réactions de la conscience humaine devant la réalité totale, non pour en faire la description psychologique, mais pour chercher ce qu’elles peuvent avoir d’illusoire, ce qu’elles peuvent renfermer d’intelligible et de vrai. Aussi, à la question directe et ambitieuse de l’ancienne métaphysique : « Qu’est-ce que l’univers? » nous substituons

  1. Roberty, l’Ancienne et la nouvelle philosophie, 1887.