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fait l’essentielle fausseté métaphysique du matérialisme exclusif et de l’idéalisme exclusif. L’aspect physique et l’aspect mental de l’univers doivent être comme les images du stéréoscope : différentes pour chacun des deux yeux, elles se superposent dès que la vue est au point exact, et elles donnent la sensation d’un même objet en relief, réel et vivant.

Une fois ces principes établis, les problèmes essentiels de la métaphysique se posent d’une façon qui n’exclut plus d’avance toute solution intelligible. Le premier de ces problèmes est celui qui concerne notre propre nature, et qui consiste à chercher ce qu’il y a en nous d’irréductible, de fondamental. Voilà une « chose en soi » qui ne doit plus être aussi loin de moi, puisque en définitive c’est moi-même. En me demandant ce que je suis et en descendant au fond de ma conscience par la réflexion, je ne saute pas nécessairement dans le vide. Kant et Lange supposent, il est vrai, que ma réalité est d’un côté et ma conscience d’un autre, comme les tronçons d’un serpent coupé en deux qui cherchent vainement à se réunir ; ils nous parlent d’un moi « transcendant » qui ne serait point le moi que je connais. Mais comme, mon sosie et moi, nous sommes tous les deux aussi hétérogènes que des êtres sans lien, toute hypothèse m’est interdite sur la nature et même sur l’existence de ce « moi absolu ; » laissons-le donc flotter en l’air, vision fantastique, au-dessus du moi de l’expérience, qui continuera d’être le seul objet de notre étude.

De même, quand je risque des hypothèses sur la permanence indéfinie de mon être, quelque hasardeuses que soient de telles hypothèses, ce ne sont pas nécessairement des suppositions sur une existence transcendante, indéterminée et indéterminable, qui, n’ayant rien de commun avec ce que nous sommes aujourd’hui, serait toujours notre anéantissement. « l’éternité » de Spinosa n’est point ce que l’homme, à tort ou à raison, rêve après la vie présente : l’homme aspire à l’achèvement des puissances réelles qui ne sont maintenant en lui qu’à l’état d’ébauche. La seule immortalité qui lui semble avoir du prix serait celle de la conscience fondamentale, de la volonté, du sentiment : ce serait donc une vie « homogène, » en ses attributs les plus essentiels et les plus précieux, avec la vie présente. La question est de savoir si les lois de la nature sont et seront toujours absolument exclusives de toute persistance indéfinie du vouloir et de la pensée, ainsi que de leurs organes les plus immédiats, peut-être invisibles. Là-dessus, on peut discuter pour ou contre, sans faire un bond hors des conditions de toute pensée.

De même, quand je passe à un autre des plus grands problèmes philosophiques, quand je me demande si l’univers a une fin suprême à laquelle il tend, si même en général il y a des fins ; quand je recherche