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la dernière Édition originale de Ronsard est le bel in-folio de 1584, et c’est lui que M. Le Petit aurait dû nous décrire.

L’article de Montaigne est meilleur, quoique trop écourté, pour l’importance du livre des Essais, et pour les différences qu’en offrent les trois principales éditions. Quand M. Le Petit voudra le développer, il n’aura qu’à diminuer un peu la place qu’il a faite à ce médiocre, pédant et prétentieux Baïf, et à remplacer le fac-simile du titre du Brave, ou des Mimes par celui du premier ouvrage de Montaigne : la traduction française de la Théologie naturelle de Raymond Sebon. Une remarque aussi qu’il pourra faire, c’est que le texte de 1595, dans lequel nous lisons communément les Essais, n’est point le bon, selon toute apparence ; que la demoiselle de Gournay, qui le constitua, le surchargea d’additions qu’on ne sait si Montaigne y aurait fait entrer ; et que ces additions, où abondent les citations latines, en bigarrant la prose de Montaigne, ne laissent pas d’en altérer sensiblement le premier caractère. Car, une fois et dûment averti, peut-être alors qu’on ne répétera plus, sur la parole de Prévost-Paradol, que « ces citations font corps avec les Essais, et qu’il est impossible d’en arracher une seule sans une sorte de violence qui laisserait sa trace, sans une déchirure qui resterait toujours visible dans cet harmonieux tissu. » Et ce sera dommage, car la phrase est jolie ; mais la vérité regagnera ce qu’y perdra la rhétorique. Une bonne moitié des citations de Montaigne sont appliquées du dehors, après coup, par une main étrangère ; et quand on les enlève, — c’est-à-dire quand du texte de 1595 on se reporte à celui de 1588, — non-seulement on ne fait à Montaigne aucune déchirure ni aucune violence, mais au contraire on le débarbouille ; son style reparaît moins latin en français ; et même aussi sa pensée plus claire et généralement mieux suivie.

Nous pourrions signaler bien d’autres oublis. C’est, je pense, un assez grand nom que Calvin dans l’histoire de la prose française ; et dans ces « trois cents fac-similes de titres, » on n’eût pas été fâché de trouver celui de l’Institution chrétienne. Et l’Apologie pour Hérodote ? et la République de Bodin ? et l’Astrée d’Honoré d’Urfé ? et l’Introduction à la vie dévote ? M. Le Petit croit-il que l’on se fût plaint d’en rencontrer la description dans son livre ? Car au moins valent-elles bien les Diverses poésies du sieur Vauquelin de la Fresnaie, et les Satyres de Régnier, et les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné. C’est d’ailleurs un livre superbe que la République de Bodin, en première édition ; et l’Astrée a ce mérite, s’il faut que c’en soit un, que les beaux exemplaires en sont extrêmement rares. Aussi bien, la date même des premières parties, la première et la deuxième, je crois, n’est-elle pas absolument certaine, et la recherche avait de quoi tenter un bibliographe. Je ne veux rien dire de la valeur littéraire et de l’importance du livre : M. Emile Montégut,