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de Montaigne. Une connaissance imparfaite des éditions successives de Montaigne a induit Prévost-Paradol en erreur sur le caractère même du style de Montaigne. Et, pour Pascal, une description bibliographique peu exacte a consacré dans l’histoire littéraire une opinion très discutable sur l’étendue des suppressions que les autorités ecclésiastiques ou les scrupules du public du XVIIe siècle auraient exigées des premiers éditeurs des Pensées.

J’ajouterais volontiers, pour les amateurs de beaux livres, qu’en dépit des progrès de l’art typographique, il n’est pas du tout vrai qu’en général les éditions modernes soient mieux imprimées, sur de plus beau papier, ni surtout mieux « habillées, » comme Tondit, que les éditions originales de la plupart de nos grands écrivains. Nos Molière, nos Racine, nos La Fontaine, nos Pascal même, sont mieux imprimés, ou l’ont mieux été de nos jours ; mais je ne sache aucune édition de Buffon qui vaille celle de l’Imprimerie royale, aucune édition de l’Histoire des variations qui vaille l’originale, aucune édition des Sermons de Bourdaloue qui puisse rivaliser avec celle de Rigaud ; et, en remontant plus haut, il n’y a ni de plus beau Corneille que l’in-folio de 1663, de plus beau Montaigne que celui de 1595, si ce n’est l’in-quarto de 1588, ou de plus beau Ronsard, enfin, que l’édition de 1584. Voilà des livres, voilà du papier, voilà de l’art enfin, et voilà des textes qui inviteraient à les lire par le seul plaisir ou la seule volupté qu’ils font aux yeux.

Que si maintenant, au lieu de se contenter d’améliorer son livre, M. Le Petit voulait quelque jour le refondre, nous lui conseillerions de le réduire uniquement à la Bibliographie des éditions originales de nos écrivains du XVIIe siècle. Chose en effet singulière ! et même gênante, pour le XVIe siècle et pour le XVe, quand nous avens besoin d’un renseignement, nous savons où le prendre ; nous le savons également pour le XVIIIe et le XIXe ; nous ne le savons pas pour le XVIIIe, ou du moins nous le savons, et avec beaucoup de patience et de temps nous finissons par nous retrouver ; mais il n’y a pas de Répertoire, de Dictionnaire ou de Bibliothèque qui nous mette au moins, pour le XVIIe siècle, comme la France littéraire de Quérard pour le XVIIIe, ou comme la Bibliothèque française de La Croix du Maine et du Verdier pour le XVIe, sur la piste des renseignemens qu’elles ne nous fournissent point. N’y aurait-il pas là de quoi tenter un bibliographe ; et, à défaut de ce corps complet de bibliographie, pourquoi M. Le Petit, s’il en a le loisir, laissant de côté tous les autres, ne nous donnerait-il pas au moins une Bibliographie des principales éditions originales des écrivains français du XVIIe siècle ?


F. Brunetière.