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Soit, M. Tirard est un président du conseil assez embarrassé et peut-être un peu étonné de son rôle, un ministre assez banal, qui n’a su ni rassurer et rallier l’opinion par une certaine fermeté simple, ni prendre quelque autorité sur une chambre agitée et impuissante. Il est vraisemblablement promise une courte destinée, aussitôt qu’il aura déblayé la scène de cette fastidieuse discussion du budget; on le lui dit tous les jours, on le lui a répété après son dernier petit succès. On le laisse achever son étape; mais comment prétend-on le remplacer? Quel est donc ce « gouvernement fort » que les républicains tiennent en réserve pour réparer le mal qu’ils ont fait et relever leur fortune? Ici commence l’étrange illusion de ceux qui se figurent qu’il n’y a qu’à remanier un cabinet.

Est-ce M. de Freycinet qui serait appelé à recueillir l’héritage de M. Tirard et à réaliser le « gouvernement fort? » Mais, de tous les hommes publics, M. de Freycinet est celui qui a le plus contribué à créer la situation où l’on se débat, à compromettre la politique du pays par ses faiblesses, par ses connivences avec les radicaux, par ses capitulations; c’est lui qui a mis la main à tout, qui a attaché son nom à toutes les violences, à toutes les persécutions, à la ruine des finances. Voilà un homme bien fait pour relever le pouvoir et remettre la république en bon chemin! Est-ce M. Floquet qui succédera à M. Tirard? M. Floquet s’est fait sans doute la bonne renommée d’un homme d’esprit et de tact à la présidence de la chambre; il a de plus tenu à effacer d’importuns souvenirs de jeunesse qui troublaient ses relations avec le représentant du tsar. Et puis, quoi ! Comme ministre, il est inconnu, ou plutôt il n’est connu que par ses programmes révolutionnaires, par le radicalisme de ses opinions sur les cultes, sur l’organisation municipale de Paris, sur toutes les affaires intérieures. Est-ce avec cela qu’il refera un gouvernement? On ne veut pas voir qu’il ne s’agit ni de M. Floquet, ni de M. de Freycinet, ni de bien d’autres, qu’il s’agit de rentrer et de faire rentrer la chambre elle-même dans l’ordre par le respect de la constitution, de revenir à une politique de prévoyance financière, d’équité libérale dans le gouvernement, de modération dans les rapports des partis. Et si les républicains modérés, qui peuvent avoir une action décisive en tout cela, ne le voient pas; s’ils n’ont pas le courage d’une résolution virile, ils iront et ils nous conduiront avec eux vers cette situation que révèlent les élections de dimanche, où le radicalisme grandit dans la confusion, où le nom de M. le général Boulanger vient de reparaître comme le mot de ralliement de toutes les lassitudes, de toutes les révoltes, des instincts démagogiques alliés au goût malsain de la force. Quels que soient les hommes appelés au pouvoir, c’est là plus que jamais tout le problème !

Avant que l’Europe revienne à des conditions plus paisibles ou moins