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d’auxiliaires dont les diversions serviraient ses desseins, on le comprend, c’est son rôle. Les autres peuples n’ont évidemment rien à gagner à se détourner de leurs relations naturelles, à réveiller des défiances ou à se créer des inimitiés pour le bon plaisir du chancelier d’Allemagne. La triple alliance avouée depuis quelque temps a été pour le chancelier une combinaison de circonstance, comme l’avait été, il y a quelques années, l’alliance des trois empereurs. L’alliance des trois empereurs a disparu, parce qu’elle n’était qu’un grand artifice; la nouvelle triple alliance est probablement destinée à avoir la même fortune, parce que les pays qui se sont liés ne tarderont pas à reconnaître qu’elle n’est pour eux qu’une duperie.

En attendant que les grandes combinaisons de la politique aient dit leur dernier mot, il y a une question plus modeste, mais plus pressante qui se débat entre la France et l’Italie à l’heure qu’il est. Quelles seront demain les relations commerciales des deux pays? C’est aujourd’hui même qu’expire le traité qui réglait les rapports des deux nations, et qui, au 1er janvier, avait été prorogé pour deux mois, afin de laisser le temps nécessaire à une négociation qui n’a conduit à rien. Jusqu’au dernier moment, la négociation s’est poursuivie sans succès à Rome et à Paris. L’Italie, qui avait la première dénoncé le traité de 1881 a émis des prétentions auxquelles la France ne pouvait souscrire. Le gouvernement français, à son tour, quoiqu’il n’eût plus rien à dire, a fait ses propositions, qui tendaient à peu près au renouvellement du traité de 1881, et qui n’ont pas été acceptées à Rome, qui ne le sont pas du moins encore. D’un autre côté, dans les deux camps, en prévision de l’insuccès des négociations, on a pris des mesures de précaution et de défense. L’Italie n’avait pas tant attendu; elle s’est armée depuis quelques mois déjà d’un tarif général qui, sur certains points, équivaut à une véritable prohibition, et hier à peine, le gouvernement français a demandé aux chambres une loi par laquelle il est armé lui-même du droit de mesurer nos tarifs aux tarifs italiens. De sorte qu’on se trouve en présence, sans traité conclu, avec des tarifs rigoureux qui peuvent être appliqués demain, — à moins qu’à cette extrémité une inspiration salutaire de conciliation n’en décide autrement. La première condition, dans une affaire de cette nature, est certainement de se défendre de tout ce qui ressemblerait à de la passion ou à de la mauvaise humeur, et M. Buffet a dit au sénat un mot qui est la vérité même, la sagesse même. — Il ne s’agit ici, a-t-il dit à peu près, ni de guerre ni d’un échange de procèdes acerbes. Les questions de traités de commerce ne sont pas des questions de sentiment. Il n’y a ni hostilité ni bienveillance, il y a des intérêts à défendre. Si l’Italie a cru de son intérêt de dénoncer le traité de 1881, et si elle se croit encore intéressée à élever ses tarifs, il n’y a ni à s’en étonner ni à s’offenser, pas plus qu’elle ne peut s’étonner et être offensée si la France elle-même consulte