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Ode à la solitude où le sentiment horatien de la vie studieuse et tranquille s’allie à ce désir de gloire honnêtement acquise que nous avons déjà signalé comme étant très caractéristique de sa nature. On peut dire en toute vérité que Pope dut sa célébrité aux travaux de son enfance. Lorsqu’on 1709, il goûta pour la première fois aux plaisirs de la renommée, ce fut avec ses Pastorales, qui remontaient à 1704, date de sa seizième année, et qui, depuis cinq ans, circulaient parmi ses premiers admirateurs, allant des mains du vieux Wycherley à celles du satirique Garth, et de celles de Walsh à celles de Granville. Presque tous les poèmes qui suivirent les Pastorales sont antérieurs à 1709. Les traductions et imitations de Stace, Ovide, Chaucer, Rochester, surprenantes par le sentiment exact, juste et fin d’originaux si scabreux, ont été écrites entre sa douzième et sa seizième année. En 1713, il publia la Forêt de Windsor, mais la presque totalité de cette œuvre datait de 1704, comme les Pastorales, et ce que le poète y ajouta lors de la publication ne vaut pas la partie composée par l’enfant. Ce Temple de la Renommée, dont nous avons cité la noble conclusion, son Ode sur la musique, où il a essayé la fusion des deux célèbres odes de Dryden, Sainte Cécile et la Fête d’Alexandre, sont de 1708, et c’est probablement aussi à cette année qu’il faut rapporter son charmant petit poème didactique. Essai sur la critique, bien qu’il ait suivi de près les Pastorales en 1709. Si le lecteur de ces divers poèmes ignore l’âge qu’avait l’auteur lorsqu’il les écrivit, rien ne le lui révélera, tant l’instrument est parfait et tant le poète en joue avec maîtrise. Cet instrument, c’est le vers de Dryden choisi par Pope avec clairvoyance, comme celui qui, assoupli et adouci, pouvait le mieux se prêter à l’expression des pensées du nouveau siècle où les généralités philosophiques d’une part et les descriptions naturelles de l’autre allaient tenir une place qu’elles n’avaient pas eue dans le passé. Quant aux secrets propres à la poésie, il n’en est aucun que cet enfant n’ait pénétrés. Il sait quels effets délicats or peut obtenir par la répétition d’un vers ramené avec adresse et sentiment, il connaît la valeur de l’énumération poétique, il sait qu’il n’y a pas d’heureuse composition sans une juste distribution des parties, et que cette distribution équivaut à celle des plans, qui, en peinture, créent la perspective. Il sait que le coloris en poésie s’obtient surtout par le choix des épithètes[1] ; il sait même sur ce sujet quelque chose de beaucoup plus important, c’est-à-dire

  1. Il en a de singulièrement nuancées, comme, par exemple, dans ces deux vers de la Fôret de Windsor :
    Hère in full light the russet plains extend :
    There wrapt in clouds the blueish hills ascend.