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à Sétif, une très grande portée. M. le général Randon, qui commande à Bône, est bon administrateur; malheureusement, il ne possède pas la confiance des troupes d’infanterie à un assez haut degré pour leur faire entreprendre des opérations de quelque importance, qui demanderaient de l’énergie et du coup d’œil. Malgré les qualités administratives de M. le général Randon, comme il m’est bien prouvé aujourd’hui qu’on est loin d’en avoir fini avec les tribus de la frontière de Tunis, et qu’il y aura là à montrer de l’énergie et l’entente de la conduite de l’infanterie, je propose de remplacer cet officier-général par M. le maréchal de camp Magnan, dont on m’a vanté le zèle et la capacité. Cet officier-général m’a témoigné deux fois le désir de rentrer en Afrique. »

Après avoir conseillé de mettre à la retraite, comme insuffisans, quatre ou cinq des colonels qui servaient dans les troupes d’Algérie, et proposé au ministre de retenir en France, où il était alors en congé, le général Sillègue, il ajoutait encore en post-scriptum : « Quant à M. le général Randon, j’ai acquis de nouveaux renseignemens qui me prouvent qu’il ne peut rendre aucun service à la tète des troupes, parce qu’elles n’ont aucune confiance en lui. Cette opinion existait déjà dans la province d’Oran, mais je l’ai ignorée jusqu’au moment où il a été fait maréchal de camp. C’est, dit tout le monde, un homme de détails intérieurs : ce n’est pas un homme de guerre. »

Prononcée de si haut et par un tel juge, la sentence assurément était grave. Hâtons-nous de dire, pour en atténuer l’effet, que, quatorze ans plus tard, l’ancien officier de cavalerie qu’elle mettait en suspicion gagna sa cause et fit casser l’arrêt, en achevant, par la conquête de la Kabylie, le programme du maréchal Bugeaud et en terminant sa grande œuvre. Quoi qu’il en soit, le général Sillègue et le général Randon furent maintenus l’un et l’autre à leurs postes.

Le duc d’Aumale arriva, le 5 décembre 1843, à Constantine. Quelques jours après, une des principales fêtes de l’islam y amena, selon l’usage antique et solennel, les grands des tribus, d’autant plus empressés et nombreux qu’ils étaient flattés d’avoir pour khalifa Ould-el-Rey, le fils du sultan de France. Par la dignité de son attitude, jointe à cette bonne grâce qui l’avait rendu si populaire dans l’armée, le prince, en leur faisant accueil, sut leur imposer et les charmer tout ensemble. Les fêtes qu’il leur donna furent splendides, et la fantasia qu’ils lui offrirent en retour dépassa tout ce que l’imagination arabe avait rêvé de plus magnifique. Quand ils revinrent dans leurs tribus, ils y rapportèrent un double sentiment de crainte respectueuse et de sécurité confiante que les dernier