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belge, déroger par la convention à la formule légale du contrat et réduire l’obligation de droit? Elles ne pourraient pas la réduire ; car ce qui touche à la sûreté des personnes est d’ordre public. Sous aucun prétexte, vous ne pouvez valablement consentir à ce que je vous empoisonne, vous blesse et vous rende malade : Votre consentement le plus positif n’empêchera pas que, ce faisant, je commette un désordre, un attentat. » Décidément notre cas est pendable! Se figurait-on que tant de gens, par centaines de mille, eussent consenti doucement à se laisser égorger? Quoi! L’ouvrier livre sa tête au bourreau dès qu’il se résigne à justifier ses demandes en dommages-intérêts, et par cela seul que, conformément au droit commun, la faute du patron ne se présumera pas? Ce ne sont là, grâce au ciel, que d’éclatantes métaphores.

On n’avait pas assez réfléchi jusqu’à ce jour aux conséquences économiques de cette tyrannie législative. D’abord « l’employeur, » astreint désormais, quoi qu’il fasse et malgré tout pacte contraire, à dédommager les « employés, » même blessés par leur faute, s’il ne parvient pas à réunir les élémens d’une démonstration très difficile, essaiera d’écarter, par tous les moyens possibles, le danger suspendu sur sa tête. Malheur à l’ouvrier qui aura tenté de s’affranchir et de ne relever que de lui-même ! Le bourgeois qui le faisait travailler n’osera plus contracter directement avec lui, craignant de devenir un patron d’occasion et d’encourir les formidables responsabilités attachées à ce titre; il appellera quelque entrepreneur. Cet ouvrier garde encore aujourd’hui l’ambition de grandir, c’est-à-dire de travailler à un moment donné pour son compte en commençant à devenir petit patron. Pour atteindre ce but, il est capable de donner tout l’essor possible à son activité physique comme à sa force intellectuelle, de perfectionner ses méthodes de travail, d’épargner, de borner ses désirs, etc., et la société tout entière y gagne. A l’avenir, tout le dissuadera de ce grand effort, car il verrait se retourner contre lui les armes que va mettre à sa disposition, s’il reste dans le bas de l’échelle, la nouvelle législation civile. Il ne faut pourtant pas trop intimider « l’employeur, » si l’on veut qu’il y ait des employés. M. Sainctelette, il est vrai, pour ne pas décourager à l’excès les patrons, leur promet qu’ils ne seront pas garans des apoplexies, des paralysies ni d’autres accidens analogues. Mais on permet rarement à ceux qui ont posé quelque faux principe de s’arrêter à mi-chemin, et les chambres syndicales qui se sont fait représenter à la conférence internationale d’août 1886 relèveraient aisément cette inconséquence. M. de Courcy l’a déjà relevée. «Pourquoi ces exceptions, dit-il, s’il est vrai que le patron doit restituer l’ouvrier sain et sauf? Une insolation sur un toit, une congestion dans un atelier trop chauffé, etc., sont bien des accidens