Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

revue et corrigée, fut offerte, le 27 février 1885, à la représentation nationale. C’est ce dernier projet qu’a disséqué naguère, avec une sagacité remarquable, M. de Courcy.

Nous n’en voulons extraire, en ce moment, que deux dispositions. D’après l’article 1er, dans les usines, manufactures, etc., le « chef de l’entreprise » est présumé responsable des accidens survenus pendant le travail à ses ouvriers et préposés ; « mais cette présomption cesse lorsqu’il fournit la preuve, ou bien que l’accident est arrivé par force majeure ou cas fortuit qui ne peuvent être imputés ni à lui ni aux personnes dont il doit répondre, ou bien que l’accident a pour cause exclusive la propre imprudence de la victime. » Voilà deux dérogations exorbitantes à la loi commune. Selon les principes généraux du droit, le patron, même présumé responsable, devrait être libéré en établissant tout simplement que l’accident provient d’un cas fortuit. Eh bien ! la présomption survit même à la force majeure, et ce patron doit encore prouver qu’aucune faute antérieure au sinistre n’a préparé, précipité ou aggravé le phénomène naturel, l’action des élémens, le coup apparent du sort : preuve négative et le plus souvent impossible à fournir. Selon le droit commun, si la faute est partagée, la responsabilité se partage également : en vain, dans le nouveau système, deviendra-t-il évident que les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la faute sont imputables à l’ouvrier ; s’il subsiste un doute sur l’imputabilité du dernier centième, la responsabilité tout entière est encourue par « l’employeur. » La nécessité de démontrer la faute exclusive de l’ouvrier, pour ne pas supporter la responsabilité de toutes ses fautes, est un pur chef-d’œuvre d’imagination législative, et, de toutes ces nouveautés, la plus admirable. Cependant nous nous étions figuré, d’accord avec la Convention nationale et la Déclaration des droits (24 juin 1793), que tous les hommes sont égaux « par la nature et devant la loi. » C’était une erreur. Il s’en faut que tous les ouvriers (ne parlons plus des autres hommes) soient égaux à ce double titre. S’ils ne travaillent pas dans une usine, dans une manufacture, dans une fabrique, dans un chantier, dans une mine, dans une carrière; s’ils ne sont pas employés dans une industrie où, à raison, « soit des moteurs, soit des matières employées ou fabriquées, » ils se trouvent exposés à un accident dans l’exécution de leur travail, ils ne peuvent pas s’emparer de la présomption légale, ils retombent, chose étonnante! du « contractuel » dans le « délictuel, » et voici que le code civil lui-même, le code de 1804, avec la jurisprudence « surannée » qui l’interprète, leur devient applicable ! Il y aurait donc des ouvriers privilégiés ; par une conséquence déplorable, mais fatale, il y aurait aussi des patrons