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des procès, qui durèrent de 1795 à 1801, usèrent les plus belles années de sa vie. Elle put rentrer dans les biens qui n’étaient pas encore aliénés. Deux hommes célèbres à des titres divers, Boissy d’Anglas et Fouché, lui prêtèrent, dans cette œuvre longue et difficile, leur protection et leur dévoûment. Tous les deux devinrent ses amis ; malgré des répugnances d’opinions et de sentimens qu’elle éprouvait vis-à-vis de l’un d’eux, elle n’oublia jamais les services rendus.

Boissy d’Anglas, qu’elle avait rencontré chez Mme de Staël, avait alors quarante-deux ans. Député à la Convention, il n’avait pas voté la mort du roi ; membre de la commission de constitution après la chute de Robespierre, il avait été le rapporteur clairvoyant et habile de la constitution de l’an III[1]. Vraie ou fausse, la légende avait fait de lui le héros de la journée de prairial, où, de l’avis de tous, son attitude avait été ferme et grave. Il venait d’être élu à Paris membre du conseil des Cinq-Cents (avril 1797), lorsqu’il connut Mme de Custine. Il subit, comme tant d’autres, le charme de sa beauté, de sa grâce et de sa voix. Il s’était donné tout entier à la surveillance de ses intérêts, lorsque, prévenu par Delphine qu’il était enveloppé dans le décret de proscription du 18 fructidor, il parvint à s’y soustraire en s’enfuyant en Angleterre ; il ne fut rappelé en France qu’après le 18 brumaire et devint président du tribunat. Une correspondance suivie et très affectueuse s’était établie entre Mme de Custine et lui ; nous en avons pour gage cet aimable et curieux billet, le seul qui ait été conservé, et que nous eussions voulu un peu plus simple[2] :


« Bougival, 16 fructidor an VIII.

« Me pardonnerez-vous, mon adorable amie, si je n’ai point l’honneur de vous voir le 18, comme je l’avais espéré ? Je craindrais de vous porter malheur ce jour-là, et je ne dois pas sortir. Si j’avais besoin de votre amitié pour être excusé par vous, je vous citerais les Romains, qui avaient le prudent usage de ne jamais se montrer les jours malheureux et qui s’en trouvaient fort bien ; je pourrais aussi vous dire qu’étant sorti à cheval le 13 vendémiaire qui suivit celui de la fatale journée qui en porte le nom, je fus violemment jeté sur le pavé et ne dus qu’à la miséricorde divine de n’être pas

  1. Voyez Souvenirs du feu duc de Broglie, t. III. p. 62.
  2. Nous devons communication de cette lettre et des lettres et billets de Chateaubriand à la bienveillance de M. La Caille, ancien juge d’instruction au tribunal civil de la Seine.