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donc, mon cher ami, nous parlerons de notre automne. Mais venez vite, car vous ne me trouverez plus,

« Je vous embrasse.

« Tout à vous. »


Ce fut la dernière fois qu’ils se rencontrèrent à Fervaques. Si le voyage de Suisse était manqué, un autre se préparait qui devait mettre fui à toutes les tendresses.

On sait de la bouche même de Chateaubriand ce qu’il allait chercher en Grèce et à Jérusalem. Ce n’étaient pas seulement des images, dont il avait besoin pour les Martyrs ; ce n’était pas non plus en croisé du moyen âge, avec les dispositions du repentir, qu’il allait s’agenouiller au tombeau du Christ. Une troisième et spirituelle enchanteresse devait l’attendre à son retour à l’Alhambra ; c’était de la gloire « pour se faire aimer » qu’il espérait trouver à Sparte, à Memphis, à Carthage, et apporter aux pieds de sa nouvelle idole.

Le 8 février 1806, il annonce son voyage à Chênedollé :


« Je partirai dans le courant d’avril pour l’Espagne (il fit le grand tour par l’Orient), où je resterai tout au plus deux mois. J’irai voir les antiquités mauresques ; jusque-là, je suis à votre service. Venez débarquer chez moi, vous ferez grand plaisir à Mme de Chateaubriand. Joubert est ici. Tout le monde sera charmé de vous voir. Le poème est-il fini ? Quand l’imprimons-nous ?

« Je parle tous les jours de vous à Mme de Custine. Venez donc, mon cher ami ! Vous savez combien les premiers jours du printemps sont beaux à Paris et combien nous vous aimons. »


Il s’agissait du Génie de l’homme qu’on ne lit plus, de ce poème qui, parmi les lettrés du temps, soulevait ce grave problème qui nous fait aujourd’hui sourire : Esménard est-il supérieur à Chênedollé.

L’œuvre de Chênedollé ne parut qu’en 1807, mais elle était achevée en 1806, et il donna lecture de deux chants chez Mme de Custine devant quelques amis. Avec sa délicatesse habituelle, il n’avait pas voulu être le premier à lui annoncer le long voyage de son ami. Elle l’apprit de la bouche même de Chateaubriand. Il était allé en juin lui dire adieu à Fervaques. C’est alors qu’elle écrit à Chênedollé cette dernière lettre qui clôt, avec leur correspondance, tout un passé affectueux.