Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/422

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Ah ! bon Dieu ! Pardon ! Je viens d’achever les affaires de l’imprimeur. J’ai été pour vous voir jusqu’aux Champs-Elysées. Cinq heures étaient passées, et je suis revenu recevoir d’autres billets que j’attendais. Demain matin à déjeuner je serai chez vous.

« Je vous écris à table. Ne vous plaignez pas. Vous n’avez pas de raison de vous plaindre.

« Encore une fois, mes tristes affaires me désolent[1]. »


Le surlendemain, son humeur change.

Un billet à Mme de Custine lui annonce que la publication des Martyrs aura lieu sans encombre, grâce « au grand ami. »


« C’est pour le livre succès complet ; point de censure, grandes louanges, honneurs, flatteries, tout à merveille. Le grand ami, un homme divin !

« À demain, chère. »


Ce grand ami est bien Fouché, encore ministre de la police, et qui ne fut disgracié qu’en 1810. Un autre lettre de Chateaubriand ne laissera aucun doute sur cet épisode de sa vie littéraire.

Si les Martyrs purent paraître en mars 1809, il ne fut pas moins prescrit à la presse d’attaquer à fond l’ouvrage. L’ordre était d’autant plus facile à exécuter, que, par-dessus la censure, un décret impérial avait confisqué la propriété des journaux, détruit toute liberté d’appréciation littéraire, et même assigné, sur le produit des abonnemens, des pensions distribuées à des hommes de lettres ou à des fonctionnaires de la police, suivant le degré de la faveur dont ils jouissaient à la cour. Le Journal des Débats, fondé par les Bertin, qui avaient salué avec tant de sympathie le début glorieux de Chateaubriand, était ainsi devenu un fief héréditaire.

Les rancunes impériales trouvèrent dans Hoffmann, le spirituel auteur des Rendez-vous bourgeois, un interprète mordant, n’ayant d’aucune manière le sentiment poétique des beautés des Martyrs. Il mit en pièces les parties faibles ou bizarres de la composition et des caractères. Pour apprécier le ton de ses deux articles, il suffira de citer quelques lignes[2] :

« Je ne reconnais pas souvent dans les Martyrs l’auteur qui a comparé une croix posée sur la tombe d’une jeune vierge au mât

  1. Ces lettres et billets de Chateaubriand font partie des précieux documens qu’a bien voulu nous communiquer M. La Caille.
  2. Annales littéraires de Dussault ; Hoffmann, Œuvres complètes, t. XVI.