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de scène en faveur à l’Ambigu. S’il n’y avait pas d’autre texte, nous comprendrions qu’on respectât la volonté du poète ; mais comment hésiter, quand il nous offre lui-même une variante d’une beauté antique, conforme aux meilleures traditions de notre goût, un « récit de Théramène » plus effrayant encore que la réalité, de cet effroi qui entre dans l’âme sans blesser les yeux ? Selon la variante, on ne voit pas la cuisine du crime : c’est une petite fille, enfermée dans l’isba avec le valet de ferme, qui nous le révèle au fur et à mesure qu’il s’accomplit. Avec les terreurs vagues et les intuitions de l’enfance, elle se serre contre cet homme, elle le presse de questions : des bruits lui arrivent, pour sûr on creuse dans le sous-sol, on se querelle, un pauvre être crie ; elle demande au valet ce qu’on fait de sombre, là, dans la cour, et en le lui demandant, elle nous le laisse deviner. L’homme essaie de distraire l’enfant par des contes, et entre temps, lui aussi, il cherche, il soupçonne, il achève de nous éclairer. Qu’on joue cette admirable scène, on en verra le pouvoir.

Je me permettrai encore une critique. Tous ceux qui avaient lu le drame ont été déçus par la mutilation du tableau final. On a écourté cette confession publique où l’auteur condense toute la moralité de sa pièce; on a réduit le rôle d’Akim, alors qu’il pousse son fils à l’aveu, qu’il retient l’officier de police pour laisser s’accomplir l’œuvre divine. Les champions du naturalisme, qui ont présidé aux répétitions et fait écarter la variante, revendiquent la Puissance des Ténèbres pour leur école ; il y a un devoir de bonne foi à ne rien retrancher dans le texte de ce qui peut ruiner leurs prétentions.

Ces réserves une fois faites, il me sera plus facile de répondre aux objections que je dois passer en revue. On a dit : c’est un mélodrame banal; il y a beau temps que le drame populaire a exploité chez nous toutes ces situations ; notre théâtre ne compte plus les pièces bâties sur le même plan. — Je le crois bien ! Seulement je cherche la donnée dramatique qui échapperait à ces accusations. Qu’est-ce que le mélodrame, sinon la mise en œuvre de tous les moyens, — moins le génie, — qui ont servi aux tragiques de tous les temps pour produire leurs effets de terreur et de pitié ? A ne considérer que les ressorts extérieurs et la charpente, l’Orestie est un mélodrame, comme le Prométhée enchainé est une féerie à grand spectacle. Mélodrames, Hamleth, Othello, Macbeth, le Roi Lear; mélodrames, toutes les pièces de toutes les écoles où des péripéties violentes agissent sur les nerfs du spectateur. Vouloir renouveler ces péripéties, en inventer quelqu’une dont les dramaturges du passé ne se soient pas avisés, ce serait là une prétention plaisante. Si ingénieuse qu’elle soit à tourmenter les hommes, la