Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/468

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ni à cette virago antique, à cette prêtresse d’abattoir, ni à cette tigresse de sérail, dont le rugissement perpétuel demande l’amour ou la vie. Elle est plus faible et plus gracieuse : elle est plus femme! Rassurée à nouveau, elle babille avec tendresse, avec gaîté : « Comme tu m’as comprise! Comme tu es bon pour moi! Tu vas voir maintenant, je vais rire... Tu peux lui parler, du moment que tu me répètes ce que tu lui dis. Il ne faut pas non plus qu’elle croie que je suis jalouse, elle serait trop fière... » Son âme, ainsi détendue et reposée, ne se bande qu’avec plus de violence, ne se lâche qu’avec plus de ressort à l’heure du combat; remonté à ces hauteurs sereines, son amour en redescend comme la foudre. D’un coup d’œil, elle a lu son malheur, appris son abandon; elle marche droit sur sa rivale : « Va-t’en! » Le mari de cette femme la cherche : par une inspiration soudaine, pour qu’il empêche sa fuite (elle ne fuirait pas seule !), Séverine crie à cet homme, tourmenté de jalousie, lui aussi : « Je l’ai chassée! » Puis, lorsqu’elle aperçoit le danger que sa révélation attire sur le coupable, elle s’arrête par une saccade... « Ma femme a un amant!.. Son nom? — Cherchez! »

Une heure après, c’est encore pour se gouverner selon l’intérêt de son amour qu’elle s’est contrainte à reprendre son sang-froid. Au tribunal de sa conscience, elle a jugé le traître; elle sait qu’un justicier, l’arme à la main, l’attend derrière cette porte; elle lui donne le choix entre deux partis : vivre avec elle, absous et renonçant au démon, ou bien y retourner, aller décidément vers sa rivale... Il y va: ah ! Dieu ! Ni le ressentiment ni l’équité ne tiennent contre l’amour; éperdue, Séverine montre à son mari l’embûche que son imprudence a préparée : « Vous m’avez dénoncé! » fait-il. Et, se cramponnant à cet homme qui la repousse et veut s’arracher de ses bras pour jamais : « Je ne t’ai pas nommé, heureusement!.. » Il la renverse, il sort, il est sorti: du seul généreux élan dont il soit capable, il se précipite au secours de sa maîtresse, c’est-à-dire au-devant de la mort. Un coup de feu!.. Séverine terrifiée recule, droite et raide sur ses talons, en jetant trois fois ce cri, — celui de l’âme féminine qui se déchire: « Maman!.. » M. de Terremonde paraît, avec son pistolet fumant ; Séverine court sur lui comme une lionne. Mais voici le prince, — vivant!.. « Toi? » s’écrie Séverine, et elle s’élance au cou de l’enfant prodigue, pour qui un autre enfant est mort, — on sait par quel tour de passe-passe tragique... L’ironie de ce dénoûment, s’il faut l’avouer, ne me déplaît pas : tout ce drame, au fait, qui n’est que l’amour d’une véritable femme pour un semblant d’homme, n’a-t-il pas une ironie intime, qui ressemble fort à celle de la nature? Et c’est pourquoi, d’ailleurs, la suite ne m’inquiète pas trop: la princesse Georges et le prince pourront vivre ensemble, après cette alerte, aussi bien, pour