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le moins, que plusieurs ménages de ma connaissance. Ils ont de quoi vivre, au sens moral, comme au sens matériel; la nature aime ces compensations, elle admet le régime de la communauté pour les âmes : celle de Séverine est riche pour deux,

Mlle Brandès, elle aussi, est femme jusqu’au bout des ongles; — surtout au bout des ongles, diraient ceux de ses admirateurs, qui l’acclament le plus volontiers quand elle montre les griffes. Pour ma part, je lui sais gré plutôt d’avoir appris déjà, depuis qu’elle est pensionnaire du Théâtre-Français, à faire quelquefois patte de velours. Dramatique par nature, elle devient comédienne. J’ai frissonné, comme tout le monde, lorsqu’elle a poussé d’une voix étranglée cet appel : « Maman ! maman ! maman ! » Mais je la remercierai particulièrement de l’art dont elle a fait preuve dans une scène précédente, lorsque lancée à toute vitesse, elle a renversé la vapeur; — je veux dire qu’après des accens de terreur forcenés, elle a retrouvé soudain un accent de tendresse presque riante, elle a quitté le ton d’une certaine folie pour celui d’une autre plus douce, et jeté émerveille cet adverbe à la fin de cette phrase: «Je ne t’ai pas nommé, heureusement!.. » Et, sans folie aucune, au deuxième acte, elle a fort bien dit ces gentillesses : « Tu vas voir, maintenant, je vais rire. Tu peux lui pardonner du moment que tu me répètes ce que tu lui dis...» — On a bien fait de l’encourager par des bravos : ce n’était pas une raison pour négliger ceux de ses camarades, hommes ou femmes, dont le mérite avait une moins bonne occasion d’éclater, ni pour accabler un acteur dont les forces physiques même étaient soumises à une trop rude épreuve. M. Dumas fils a dédié la Princesse Georges « au public. » S’il voulait venger aujourd’hui ses interprètes et se venger un peu lui-même, il pourrait retirer cet hommage. Mais non! qu’il en appelle de ce jugement d’un public maussade à un public mieux disposé, voilà tout. Sa pièce attendra; elle garde en elle ce principe de vie : une personne humaine, — celle de l’héroïne.

Cependant, presque aux deux bouts du boulevard, deux pièces nouvelles font fureur; — Et je crains bien qu’il n’y ait guère d’humanité dans Coquard et Bicoquet, et que dans les Surprises du divorce il n’y en ait pas du tout!.. Aussi, malgré la vogue de ces ouvrages, n’ai-je pas grand’chose à en dire : n’allez pas croire, pour cela, que je me sois privé d’en rire ! L’idée, au moins, de Coquard et Bicoquet, ne laisse pas que d’être conforme à la réalité : le prestige du crime sur l’imagination publique, la fierté des habitans de l’endroit où un meurtre a pu être commis, leur gratitude envers l’assassin, MM. Boucheron et Ordonneau, en hommes d’esprit, ont emprunté ces données aux mœurs du jour. Le véritable fond des Surprises du divorce n’est que la haine du gendre pour la belle-mère : vieille tradition de théâtre, dont l’emploi