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dans son manteau de guerre. Ce n’était point sans doute un prince de génie. Il n’était pas de ceux qui ont l’inspiration du champ de bataille ou qui transforment les nations par leur intelligence. Il avait gardé un certain mysticisme soldatesque, et il mettait parfois une bizarre subtilité dans la manière d’interpréter ses droits et ce qu’il appelait la «justice de sa cause. » Il était homme à mettre de la religion et de la légitimité jusque dans la façon de prendre une province ou de disposer d’une couronne. A part ces faiblesses du piétiste cuirassé, c’était assurément un souverain prudent et sensé, fixe dans son devoir comme dans son uniforme, alliant à un sentiment profond de son état de roi la simplicité, l’exactitude, une raison ferme et droite. Il n’a eu qu’une idée, il l’a suivie jusqu’au bout sans dévier, sans se laisser ébranler par les résistances : c’est lui évidemment qui a donné à la Prusse une armée devenue l’instrument de ses victoires et de sa puissance. Si l’empereur Guillaume n’avait pas les dons supérieurs du commandement personnel, il avait le premier art du gouvernement, l’art de choisir les hommes, de les contenir quelquefois, de les soutenir toujours, en leur prêtant la force de son autorité, en décourageant les intrigues. Il alliait aussi la modestie au discernement, et M. Thiers, cherchant un jour à expliquer les causes des malheurs de la France, voulant montrer comment une de ces causes avait été qu’il n’y avait pas de gouvernement à Paris, tandis qu’il y avait eu un gouvernement à Berlin, M. Thiers a pu dire avec finesse : « … Ce gouvernement se composait d’un grand politique, d’un de ces hommes de guerre qu’on appelle organisateurs de la victoire, de généraux d’armée très énergiques, d’un habile ministre de la guerre ; au-dessus de tous, d’un roi ferme, sage, habile, ne s’offusquant pas de la gloire des hommes placés autour de lui, mais prenant leur gloire pour la sienne, leur servant de lien, de plusieurs hommes n’en faisant qu’un et étant parvenu, pour ainsi dire, à rendre à la Prusse le grand Frédéric... »

C’est l’explication aussi juste que fine des événemens. Et cette œuvre accomplie par la guerre, avec tous ces hommes qui ont été ses coopérateurs ou ses complices, le souverain allemand s’est efforcé de la maintenir par la paix avec une autorité que l’âge et les succès ont grandie. Depuis dix-sept ans, en effet, tout semble indiquer que l’empereur Guillaume a été le premier partisan de la paix, et il était certainement sincère dans les sentimens qu’il ne cessait d’exprimer, puisque ces sentimens s’accordaient avec ses intérêts. Il a pu, par instans, laisser s’agiter autour de lui des passions guerrières qui essayaient de se déchaîner de nouveau : il les a contenues. Il a prudemment compris qu’il avait beaucoup fait, plus peut-être qu’il n’avait espéré, en peu de temps, que c’était déjà une tâche assez difficile de fortifier et de consolider l’édifice improvisé d’une si grande puissance. Il s’est défendu du goût des aventures, et il est certain du moins qu’il