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se trouvât paralysée et annulée pendant de longues années. Nous n’en voulons pas d’autre exemple que l’histoire même de cette chaire de droit de la nature et de droit des gens. Elle était devenue vacante en 1820. Le Collège présenta à l’unanimité, et seul, M. Cousin, alors suspendu de sa chaire de la Sorbonne. Le gouvernement de la restauration, bien entendu, ne le nomma pas et appela à la chaire un homme bien pensant, très respectable d’ailleurs, mais d’une incapacité notoire, qui l’occupa pendant trente-deux ans ! La même personne obtint la même chaire à l’Ecole de droit et la remplit avec le même succès. Il réussit même si bien à la discréditer, que cette seconde chaire s’éteignit avec lui, et que depuis elle n’a pas reparu à la surface. Tel fut l’effet d’un enseignement déplorable. Bien loin de moi la pensée de dire que la chaire était menacée d’un pareil avenir ! Ce serait souverainement injuste. Il n’en est pas moins vrai, en principe, qu’il doit y avoir une certaine élasticité dans l’enseignement supérieur, et qu’il doit se prêter aux mouvemens du travail scientifique, qui se porte tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, et au mouvement des vocations. Sans doute, il est des chaires nécessairement immobiles ; personne n’aura l’idée de supprimer dans la faculté des sciences la chaire de mécanique ou de calcul intégral, ni dans la faculté des lettres les chaires de grec et de latin ; mais, à côté de ces chaires immobiles, il y a des chaires qui peuvent varier suivant les circonstances. Le Collège de France se prête mieux encore qu’aucun autre établissement à ce système, par la raison qu’il n’a ni élèves inscrits, ni examens, ni programmes. Ce système est d’ailleurs celui des universités étrangères, et il répond aux oscillations naturelles et à la spontanéité de la création scientifique. Une science nouvelle vient-elle à paraître (par exemple, la microbiologie, ou l’astronomie physique)[1], il faut essayer de lui faire sa place ; si, dans le même moment, une autre science est un peu négligée ou oubliée, si on peut lui donner satisfaction d’une autre manière, la science nouvelle prendra la place de la science plus ancienne, sauf, pour celle-ci, à renaître ailleurs, et plus tard, sous une autre forme.

Cherchons donc, pour ce qui concerne la philosophie du droit, quelle place lui reste encore et quel avenir peut lui être réservé dans notre enseignement. Et d’abord, même à l’heure qu’il est, la philosophie du droit peut être enseignée dans toutes les chaires de philosophie de nos facultés des lettres, non pas tous les ans, ni partout en même temps, mais tantôt ici, tantôt là, comme les autres parties de la philosophie. En outre, pour ce qui est de l’essentiel et

  1. La faculté des sciences de Paris a une chaire de microbiologie ; elle en attend une d’astronomie physique.