Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/531

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

preuve : « Si quelqu’un, dit Descartes, avance promptement sa main contre nos yeux, quoique nous sachions qu’il est notre ami, qu’il ne fait cela que par jeu, nous avons toutefois de la peine à nous empêcher de les fermer ; ce qui montre que ce n’est pas par l’entremise de notre âme qu’ils se ferment,.. mais c’est à cause que la machine de notre corps est tellement composée, que le mouvement de cette main vers nos yeux excite un autre mouvement en notre cerveau qui conduit les esprits animaux dans les muscles qui font abaisser les paupières. » C’est par des phénomènes de ce genre que Descartes explique nos différentes passions, par exemple celle de la peur : « Si cette figure est fort étrange et fort effroyable, cela excite en l’âme la passion de la crainte,.. car cela rend le cerveau tellement disposé en quelques hommes, que les esprits réfléchis de l’image ainsi formée sur la glande vont de là se rendre dans les nerfs qui servent à tourner le dos et remuer les jambes pour s’enfuir. » Seulement, le même objet ne produit pas la même passion et la même impression sur tous les hommes : « La même impression qui cause la peur en quelques hommes peut exciter en d’autres le courage et la hardiesse, dont la raison est que le même mouvement de la glande qui en quelques-uns excite la peur fait dans les autres que les esprits entrent dans les pores du cerveau, qui les conduisent partie dans les nerfs qui servent à remuer les membres pour se défendre, et partie en ceux qui agitent et poussent le sang vers le cœur en la façon qui est requise pour produire des esprits propres à continuer cette défense et en retenir la volonté. »

Malebranche, tout mystique qu’il était, a continué sur ce point la tradition de Descartes, et c’est lui qui a constitué de toutes pièces la théorie mécanique de la mémoire et de l’imagination que l’on nous donne aujourd’hui comme nouvelle ; il a même généralisé la doctrine et a pressenti la théorie dite « de la correspondance » enseignée par Herbert Spencer, en proclamant avant lui que, « toutes les fois qu’il y a des changemens dans la partie du cerveau à laquelle les nerfs aboutissent, il arrive aussi des changemens dans l’âme,., et l’âme ne peut rien sentir ni rien imaginer qu’il n’y ait du changement dans les fibres de cette même partie du cerveau. » Cela n’est pas seulement vrai des sensations, mais des idées : « Dès que l’âme reçoit quelques nouvelles idées, il s’imprime dans le cerveau de nouvelles traces, et dès que les objets produisent de nouvelles traces, l’âme reçoit de nouvelles idées. » Enfin, toute la théorie se résume dans cette loi générale : « Toute l’alliance de l’esprit et du corps consiste dans une correspondance naturelle et mutuelle des pensées de l’âme avec les traces du cerveau, et des émotions de l’âme avec le mouvement des esprits animaux. »